.: Les dernières brèves : > This ancient blog is currently being reactivated within a new technical and legal frame under www.topicsandroses.org... (Le lundi 25 août) Glad to welcome you here, please indulge many modifications in the next period until the autumn 2009. Welcome, read, share... and enjoy ! - > Main dans la main contre le mariage forcé, campagne européenne. A Saint-Denis en région parisienne le 7 juin (Le samedi 7 juin)

Dans le cadre de la Campagne Européenne « Main dans la Main contre les mariages forcés » Le Centre Culturel TAWHID en partenariat avec SPIOR organise une conférence/débat soutenue par la municipalité de Saint-Denis.

Samedi 7 juin à 14h00 à la Bourse du Travail de Saint-Denis 11, rue Genin 93200 Saint-Denis Métro Porte de Paris (ligne 13) Entrée libre

Intervenants :

- Marianne VORTHOREN, représentante de la ville de ROTTERDAM, membre de SPIOR.

- Hamida BEN SADIA, militante associative.

- Fabienne SOULAS, maire adjointe de Saint- Denis déléguée aux droits des femmes.

- Yacob MAHI, docteur en sociologie.

- > Femmes Palestiniennes entre souffrances et résistances (Charleroi, Belgique) (Le dimanche 6 avril)

Dans le prolongement de la Journée internationale de la femme,

les associations « Marianne » et « Femmes Musulmanes de

Belgique » mettent à l’honneur la femme palestinienne.

Femmes Palestiniennes

entre souffrances et résistances

Dimanche 6 avril 2008 à 15 h

Accueil dès 14 h.

Salle « La braise », rue Zénobe Gramme, 21 à 6000 Charleroi

INFOS : 0473/286 375 - 0486/721426 fmbcharleroi@yahoo.com

Stand de livres - Salon de thé

Intervenantes :

Marianne Blume, enseignante à Gaza durant 10 ans. Auteur du livre « Gaza dans mes yeux. »

Dominique Waroquiez, membre de l’Association belgo-palestinienne à Bruxelles.

Renée Mousset, Présidente de l’Association belgo-palestinienne de Liège

Exposition des photographies de Véronique Vercheval évoquant la vie quotidienne en PALESTINE.

- > 14 mars : “RACISME, IDEOLOGIE POST - COLONIALE ... ET LES FEMMES DANS TOUT CELA ?” (Bruxelles) (Le dimanche 9 mars)

DANS LE CADRE DE LA SEMAINE D ACTIONS CONTRE LE RACISME COORDONNE PAR LE MRAX

Il y a une nécessité, aujourd’hui, de mener une réflexion concernant la question de « l’idéologie post - coloniale » dans notre société. En effet, c’est à travers un « imaginaire colonial » et des stéréotypes faussés que sont appréhendés les « immigrés post coloniaux », que l’on continue de considérer comme des « sous citoyens », et qui subissent chaque jour une exclusion économique, sociale et politique. Par ailleurs et dans une perspective féminine, il s’agira de mettre en évidence l’instrumentalisation de la question du genre et plus particulièrement de la "femme arabe, musulmane, immigrée", à des fins soi disant féministes, tout en questionnant l’attitude d’un certain « féminisme hégémonique » qui place la femme "blanche", "occidentale" dans un rapport de domination avec les femmes « racisées » [1], et qui dessert la cause de celles qu’il prétend libérer, comme le soulignent les tenantes d’un féminisme postcolonial.

En tant qu’association féminine, cette forme de « racisme » nous interpelle puisqu’elle rend compte d’un mécanisme de domination : l’enfermement des dominés dans leurs "différences" et qui produit de multiples formes de discriminations dans la société belge. C’est dans cette perspective que L’association Femmes Musulmanes de Belgique [2] , en partenariat avec l’association Loqman organisent une rencontre :

“RACISME, IDEOLOGIE POST - COLONIALE ... ET LES FEMMES DANS TOUT CELA ?” Le vendredi 14 mars 2008 à 19h30

Aux Facultés Universitaires St Louis Auditoire 1 Boulevard du Botanique 43,1000 Bruxelles

Avec :

- Nadine PLATEAU (Membre de SOPHIA et militante féministe)

- Houria BOUTELDJA (Porte parole du Mouvement des Indigènes de la République)

- Tariq RAMADAN (Professeur d’islamologie à Oxford, professeur invité à Rotterdam et Senior Research Fellow au Japon et à la Lokahi Foundation à Londres)

- Radouane BOUHLAL (Président du MRAX) Le débat sera modéré par Sophie LEONARD (Commission Islam et Laïcité)

- > Resisting Women vous Propose JEUDI 31 JANVIER 08 une Rencontre autour du Livre "Le Coran et les femmes : Une lecture de libération" d’Asma Lamrabet (Le jeudi 31 janvier)

La problématique de la "femme musulmane" est depuis longtemps prise en otage entre deux perceptions extrêmes… Celle d’une approche islamique conservatrice très rigide et celle d’une approche occidentale, ethnocentrique et islamophobe. En réponse à cela, se dessine parmi une partie des croyantes musulmanes un nouveau mouvement qui entreprend une relecture du Coran à partir d’une perspective féminine et qui se donne pour objectif de retrouver une véritable dynamique de libération de l’intérieur même de la sphère islamique, dans la perspective d’une "revalorisation" du statut de la femme musulmane.

Dans le cadre du Réseau Resisting Women – Femmes En Résistance et du site www.resistingwomen.net

Vous êtes invité-e-s à une rencontre autour du livre

Le Coran et les femmes : Une lecture de libération

Jeudi 31 JANVIER 2008 de 20H00 à 22H30 Au CEDETIM - 21ter rue

Voltaire - 75011 PARIS (France)

Entrée Libre

Pour tout renseignement, veuillez nous contacter au 06.62.73.78.79

Avec la participation de :

- Asma Lamrabet : Médecin et intellectuelle engagée sur la question de la femme en Islam. Ouvrage le plus récent : Le Coran et les femmes : Une lecture de libération (2007)

- Nadia Oulehri : Avocate au Barreau de Rabat et Présidente de l’association « Action Femmes Juristes ».

-             .: Articles récemment publiés : > MEXICO : MUJERES EN RESISTENCIA, DECLARACIÓN DE OAXACA () - > Why "Topics&Roses" ? (2007) - > La longue marche des femmes en Iran (1er février 2007) -
Conférence / Islam contemporain / droits des femmes

Féminisme et droits humains universels : géostratégie d’un caillou dans la chaussure

septembre 2008 par Topics & Roses , Karine Gantin

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Texte de la conférence donnée par la créatrice de Topics&Roses lors de son invitation à participer à la présentation publique du nouveau Groupe international d’étude sur la femme en islam (GIERFI), à Barcelone (Espagne) où celui-ci a établi son siège, le 22 septembre 2008, dans l’auditorium de la Casa de la Convalescència (UAB), en compagnie des fondatrices du Gierfi, Asma Lamrabet, Yaratullah Monturiol et Malika Hamidi.

Féminisme et droits humains universels : voilà un bon titre d’exposé. J’ai beau savoir que ces deux mots font polémique, et me rappeler qu’ils appellent pour moi y compris une réflexion critique en profondeur, je me dis que l’alliance de deux notions qui m’apparaissent d’emblée comme positives est une chance. Cela donne envie de parler de beauté, de valeurs, donc d’absolu, de certitudes souriantes, et pour une dissertation politique dans le temps présent, oui, c’est plutôt une chance. Bien sûr, chacun de ces deux concepts est discutable politiquement, notamment quand il s’agit de les soustraire à certains discours d’appropriation explicite ou implicite, également, quand il faut tenter de les situer tous les deux dans un discours plus global d’organisation de la société, pour leur donner une place et une valeur opérante. Mais finalement, de manière abstraite et sur le fond, ils ne sont guère si fondamentalement remis en cause.

Féminisme, au sens de défense des droits des femmes, tout comme les droits humains universels, ont donc, disais-je, des airs d’absolu. Le premier titre qui m’avait été initialement proposé pour cet exposé était d’ailleurs « féminisme et universalisme »... Nous nous situons bien dans l’interrogation de ce registre-là. Or, nous cherchons, toutes et tous, l’absolu. C’est notre pente humaine naturelle depuis l’enfance. Une pente ascendante. Mais aussitôt que nous le cherchons, nous nous trouvons pris en étau dans les contradictions, les paradoxes, les violences, de ce monde. Des horreurs et des violences « absolues », pour ainsi dire, consensuelles, je pense à ce que nous définissons comme crimes contre l’humanité ; d’autres violences encore, désignées par certains comme horreurs, mais légitimées par d’autres au nom de circonstances atténuantes ou de principes supérieurs ; et puis, enfin, il y a en ce monde des violences totalement tues, qu’on appelle parfois des non-dits, et dont le non-dit même est violence, s’il est à la fois conscient et contraint. Les frontières entre ces trois niveaux ne sont pas étanches. Elles fluctuent d’une époque à l’autre, d’un pays à l’autre, d’un groupe humain à un autre, d’une bataille politique à une autre.

Cela n’est pas sans rapport avec la politique, justement. La désignation commune à un moment donné dans un groupe, fût-il l’humanité, de ce que sont des violences absolues, est notre cadre commun consensuel à l’intérieur duquel nous pouvons agir et négocier. Les violences de la seconde sorte, tolérées par certains, mais refusées par d’autres qui les désignent au su de tous, du moins sont-elles dites et entendues. Elles font partie explicite du champ du politique. La polémique peut être virulente, les passes d’armes verbales peuvent menacer de devenir des passes d’armes réelles, mais du moins savons-nous à propos de quoi nous nous battons. C’est une bataille d’idées, et portant aussi sur les moyens d’action. Quant aux violences tues, ce sont les plus épineuses. Elles sont difficiles à faire surgir politiquement avec la légitimité nécessaire pour permettre seulement le débat, parce que précisément elles sont niées, elles sont l’angle mort de notre champ de vision collectif, qui les repousse à sa marge, délibérément ou inconsciemment.

Je crois profondément que les atteintes aux droits et à la dignité des femmes relèvent des trois catégories à la fois. Et que cette ambiguïté majeure nous pose problème, nous obligeant à travailler sur les trois plans en même temps. Pour notre épuisement.

Au nom des droits humains, les atteintes aux droits des femmes sont ainsi cataloguées en effet comme faisant partie des violences consensuellement refusées, absolues. Nous disposons là sur le plan théorique d’un outil majeur pour agir. Prises plus concrètement dans les turbulences du politique en général, ou encore dans les luttes de libération nationale ou la guerre des civilisations, les atteintes aux droits des femmes deviennent des violences tolérées, relativisées… ou instrumentalisées. L’enjeu, pour nous en tant que féministes, est ici politique. Enfin, au quotidien, et dans les faits, je veux dire notamment au plus près de la vie intime, mais pas seulement, dans les coulisses du politique et de la vie sociale aussi, de nombreuses atteintes aux droits des femmes et à leur dignité demeurent invisibles, non dites… C’est « la vie des femmes », notre héritage bien connu de nous toutes, dont nous faisons entre nous à la fois notre misère et presque, notre gloire aussi, notre marqueur identitaire en tout cas. Or, essayer de sortir de ce non-dit, soulever cette chape de silence sur nous, relève d’un lourd défi. Nous devons lutter de toutes nos forces contre l’illégitimité constante à laquelle nous sommes renvoyées, illégitimité de nos thèmes et de nous-mêmes sur le devant de la scène publique, là précisément où nous peinons à être nombreuses et visibles. Ou bien, il nous est accordé sinon une fausse légitimité, une légitimité alibi, un « oui-oui » de principe mais sans grand effet car il relève d’abord du « politiquement correct », voire cache d’autres enjeux. Ce « oui » là ne garantit alors nullement une prise en considération réelle des moyens nécessaires à notre affirmation et à nos luttes. Plutôt que de plafond de verre, selon une expression consacrée, j’ai plutôt envie ici de parler de puits profond, et je ne sais quelle est la meilleure méthode pour qu’enfin les hommes aillent s’abreuver ailleurs qu’à ce puits-là, pour que nous soyons plutôt enfin le cours d’eau qui fertilise les rivages et irrigue les cultures, et non plus ce puits noir où nous sommes enfermées, et humiliées.

Or, ces trois niveaux de violences et d’action ne sont pas égaux entre eux. Le premier, celui des normes universelles contraignantes, nous ne devons jamais perdre de vue que, si nous n’en faisons pas le soubassement des deux autres plans d’action, le reste pourrait vite n’être qu’un château de cartes qui s’effondre... Nous avons besoin de conforter ce niveau de légitimité maximum.

En revenant de nouveau vers l’absolu après un long détour par les contradictions et les horreurs de ce monde, en revenant vers l’absolu non plus comme des enfants qui ont touché autrefois la lumière avec tout leur être, mais comme des adultes mûris, responsables, et soucieux d’agir, nous espérons certes d’abord un peu de repos et de consolation, mais aussi des recours. Nous subodorons que l’absolu recèle des solutions. Oui, mais lesquelles ? Avons-nous alors encore assez d’énergie pour les trouver ? Et, quand sont-elles d’ordre intime, comme peut-être la foi ou l’utopie politique, et quand représentent-elles un enjeu de consensus obligatoirement universel, par exemple les droits humains ? Et comment établir entre tout cela, l’intime et le collectif, une cohabitation ? Enfin, à quels moments devient-il, peut-être, nécessaire de créer une hiérarchie ? De quelle manière ? Et accessoirement, ne jamais oublier de se demander… qui la demande, cette hiérarchisation ?

La période actuelle, qui se décline nationalement et internationalement avec un sentiment subjectif effarant de troubles accélérés, cette période met toutes ces questions au cœur d’une manière en propre. Or, le féminisme se trouve être ici à la fois pris dans la tempête, et porteur d’une porte d’entrée unique dans la réflexion, voire d’une piste d’influence plus globale que dans le seul domaine de la défense des droits des femmes. C’est ce que je veux essayer de démontrer.

Reprenons le problème posé à la racine. L’association du féminisme et des droits humains universels comme objet de réflexion, appelle en écho certaines questions : le féminisme est-il un communautarisme, le communautarisme des femmes, voire de certaines femmes, au détriment d’enjeux collectifs qui seraient plus urgents ? Ou bien est-il forcément un universalisme, mais alors avec quel objectif, et quel impact ? Quant à l’alliance du féminisme et des droits humains universels : faut-il s’en méfier avant tout comme d’un piège politique tendu par certains dont les objectifs n’ont rien à voir en réalité ni avec le féminisme, ni avec l’universalisme, mais plutôt avec des intérêts politiques et géostratégiques particuliers ? Ou bien une alliance du féminisme et des droits humains représente-t-elle au contraire une solution viable pour fonder davantage le féminisme en légitimité, et faire progresser les droits des femmes dans le sillage des droits humains, qui sont tout de même un peu moins remis en cause, ou considérés en tout cas avec davantage de respect, puisqu’ils concernent explicitement tout le monde, et non d’abord la moitié de l’humanité… ?

Je ne reviens pas ici sur la contestation même du mot « féminisme » par une partie des défenseuses des droits des femmes, dont je respecte le choix. Etant d’un pays occidental, je suis personnellement habituée au mot « féminisme », et n’ai pas envie de le décrier quand dans ma propre culture, sous ce vocable, il est porteur d’une histoire récente dont j’hérite directement, et qu’il est, là où j’habite, matière encore à moquerie sexiste. C’est au sens de lutte pour les droits des femmes et contre les discriminations à leur égard, que j’entends ici le mot « féminisme ». Si je dois préciser, je dirais que dans ma lecture politique personnelle, il implique en outre une réflexion théorique non marginale sur les modes de domination existants. Non que je veuille faire du féminisme le centre principal de ma lecture politique globale, mais il m’est utile d’y réfléchir sous l’angle des rapports de domination, tantôt pour élaborer une stratégie immédiate d’action, tantôt pour comprendre par analogie d’autres luttes d’émancipation, et avancer ainsi sur mon propre chemin de connaissance en ce monde.

Le féminisme que nous avons en partage a vocation d’universel à double titre. D’abord le féminisme en général, clairement, est un combat pour les droits humains universels au sens qu’il vise l’égalité des droits et l’équité entre tous les humains. Les droits humains incluent le droit d’être porteur de différence. Au contraire du fascisme, ils ne préconisent pas un être humain uniformisé à partir d’une norme fantasmée. Ils considèrent au contraire avec une attention insistante l’individu et ses droits, et rejettent les discriminations de toutes sortes, en raison du sexe par exemple.

Pourtant, en réglant cela dans ses divers textes fondateurs, les Nations Unies semblent n’avoir rien totalement réglé. Bien sûr, la contestation actuelle de la légitimité de l’ONU et son inefficacité récurrente n’y sont pas étrangères. Mais le cœur du problème se situe davantage dans la capacité de résistance du système patriarcal. Une capacité de résistance d’autant plus dangereuse, et je pèse mes mots, que, alors même que le respect des droits des femmes n’a pas encore gagné dans les mentalités la bataille pour la qualification de norme supérieure universelle, une partie des atteintes à l’encontre des femmes continue de demeurer dans le non-dit, bref dans l’infra-politique, ce niveau dont il est si difficile de sortir. Mais pour comprendre pourquoi rien n’est réglé, il faut écouter aussi le bruit ambiant : l’évolution du monde, la transformation des enjeux internationaux, la sortie sans fin de la période des décolonisations, dans sa dimension de succès politique inabouti chez les décolonisés, et bien sûr de mémoire non soldée entre ex-colonisateurs et colonisés, d’autant moins que les rapports de force entre eux persistent en évoluant.

Les débats autour de la guerre des civilisations de l’après-11 septembre qui sont notre cadre contraint de réflexion, ont commencé en réalité bien avant. Les cultures ont ainsi été mises en opposition depuis plusieurs décennies au concept d’universalité des droits humains, piégeant la question des droits des femmes. En témoignent notamment les débats politiques autour de la CEDAW, la Convention internationale pour l’élimination des discriminations envers les femmes. Le droit d’émettre des réserves sur certains chapitres de sa mise en application avait été finalement accepté par l’ONU. Or, ces réserves ont d’abord été le fait d’Etats autoritaires qui légitimaient ainsi à bon compte leur politique interne au nom d’une prétendue défense de leurs cultures nationales, se redorant leur blason de manière largement populiste vis-à-vis de leurs peuples tandis qu’ils les réprimaient et les affamaient de l’autre main. D’un vrai débat sur les tensions à gérer entre normes universelles et cultures existantes, entre le théorique et le politique, entre l’édiction de la norme et sa transcription dans une société donnée, ces Etats ont fait un alibi sordide. Or, il ne faut pas se tromper. La richesse de pensée entraînée par cette querelle, en dépit même d’enjeux stratégiques parallèles, a permis des approfondissements passionnants. Non seulement a été posée la question du kidnapping par le Nord des valeurs d’universel au profit de sa seule légitimation, dans des écrits superbes comme La démocratie des autres, de la prix Nobel indienne Amartya Sen. Mais les droits humains y ont gagné aussi d’un point de vue théorique : je pense à l’idée reprise brillamment par Heiner Bielefeldt, directeur de l’Institut pour les droits humains en Allemagne, qu’un discours des droits humains ne se peut se réduire à l’édiction de normes universelles supérieures et contraignantes : au contraire, ce discours doit s’accompagner dans le même mouvement, inclus dedans, d’une stratégie pro-active d’empowerment portée de l’intérieur même des groupes sociaux, des communautés, des sociétés concernés. Les droits humains doivent inclure par nécessité leur propre manuel de transcription, être corrélés à une stratégie d’appropriation et de mise en œuvre par les individus et les peuples eux-mêmes où ils sont. Ainsi, de ce riche débat, les droits humains universels comme le féminisme sortent durablement associés, possiblement légitimés à l’intérieur de chaque communauté, et même, dotés d’outils supplémentaires d’action.

Mais il y a un autre aspect encore par lequel féminisme et universalité des droits humains se rejoignent, si l’on se situe dans une perspective d’émancipation de gauche ou dans une perspective spirituelle. Le chemin de l’émancipation et le cheminement spirituel ont ceci en commun… qu’ils se présentent comme un chemin justement, une voie particulière de l’accès à l’universel, un moyen de toucher celui-ci au travers d’un parcours en propre. Le chemin même de l’émancipation exige une forme de spiritualité, fût-elle qualifiée d’humaniste. Pour comprendre la complexité de l’humain et appréhender cette vie terrestre, rassembler dans sa main les fils de l’universel et du particulier, de l’esprit et de la matière, de l’intemporel et de la circonstance, de l’exigence et de la nécessité, du collectif et de l’individu, il n’est pas suffisant de lire les grands penseurs ni les sages. Il faut refaire par soi-même l’intégralité du chemin qui mène à leur pensée ou leur sagesse. Pour reprendre une image issue de la philosophie méditerranéenne, il ne suffit pas de lire Platon, il faut refaire après Socrate tout le long chemin du désenchaînement personnel tout au fond de cette caverne qu’est la vie sociale, puis refaire aussi à son tour la rude escalade vers l’ouverture de lumière qui la surplombe, vers la Connaissance, en tâtonnant dans la semi-pénombre, et sans présumer pour autant qu’une fois confronté enfin à la source même de la lumière, qu’une fois à l’air libre, le chemin se finit… Or, ce chemin ardu est entrepris aussi par des femmes. Les écrits d’Asma Lamrabet y font référence dans le domaine de l’islam. D’autres écrits, comme L’Histoire des Femmes philosophes, publié en France en 1690 par Gilles Ménage et consacré à l’Antiquité, en témoignent aussi, avec le même constat : tant de noms féminins lumineux de force intellectuelle et de sagesse, ont été oubliés en cours de route par l’Histoire. Tout comme le savant évangile de Marie, dont on ne sait plus s’il s’agit d’un apocryphe, et qui aurait été écarté d’emblée de la vulgate catholique, comme d’autres écrits d’apôtres de Jésus qui faisaient une trop grande place aux femmes. Car l’exclusion du pouvoir politique que subissent les femmes en cache une autre, plus tabou encore : celle du domaine la sagesse, et du droit d’exercer a fortiori une autorité morale. Or, le féminisme, en tant que réflexion sur le sort des femmes et, partant, sur l’organisation humaine et sociale, en tant que lutte émancipatrice tout simplement, le féminisme peut être un chemin de sagesse qui débouche sur une contemplation de l’universel. Il peut être une tentative philosophique de concilier sa lutte particulière à soi avec une vision intelligente et sensible de l’humanité entière.

Ainsi, le féminisme est-il tout le contraire d’un communautarisme. Il est la défense légitime et nécessaire d’un groupe d’individus en raison des discriminations spécifiques à son encontre. Il peut être en outre une philosophie globale, un chemin spécifique vers la sagesse, donc un universalisme par excellence.

Et pourtant, un communautarisme, le féminisme peut l’être aussi. Non pas tellement porté par les femmes elles-mêmes, qui n’y auraient pas grand intérêt. Mais dans sa récupération par la société entière, à dominante masculine… Les voix féministes se retrouvent encore en effet à ne pouvoir progresser, de fait, que par le seul mode du lobbying, quelle que soit l’ampleur initiale de leurs discours. Le féminisme occidental, ainsi, se remet encore difficilement de ce faux moment d’absolu des années dites de libération, les grandes luttes des années 70. Toutes les libérations ont leurs faux-semblants dangereux qui rendent les lendemains décevants. Aujourd’hui, le féminisme occidental est plus amer qu’il ne veut l’admettre. Certes, ses avancées ont été majeures. Mais elles se situent aussi historiquement dans une évolution plus longue. Elles se situent géographiquement, portées d’abord par les acteurs de l’économie les plus en vue de l’époque, avec diffusion culturelle rapide ensuite à travers le monde. Enfin, elles se situent socialement, du fait des classes sociales qui les ont majoritairement porté, et par le contexte du boom capitaliste et consumériste de l’époque. Qu’on le veuille ou non, cette contextualisation est là. Surtout, les résultats concrets de ces luttes, que ce soit dans la société, les cuisines ou les chambres à coucher, sont inégaux. Enfin, il faut évoquer encore les polémiques concernant la concurrence que le féminisme a fait vivre aux autres luttes, la lutte des classes, ou, en d’autres lieux, les luttes nationales de libération. Ces polémiques-là ne sont pas vraiment retombées. Certes, le féminisme a accru sa légitimité face à ces autres luttes, dans la théorie au moins, qui n’est jamais sans effet politique. Mais c’est déjà beaucoup moins vrai dans les mentalités. Aussi, quand nos féministes au Nord parlent aujourd’hui des droits des femmes comme d’un enjeu politique et sociétal global, acquiesce-t-on distraitement, pour le principe, car c’est le discours devenu aujourd’hui légitime, le prêt-à-porter politique qui vous autorise à concourir dans l’arène. Mais dans la pratique elles restent largement renvoyées à un problème de type communautaire : enjeux de quotas, obligation « politiquement correcte » de les mettre en tribune, etc. Les hommes dirigeants traitent pour la plupart la place des femmes et la question de leurs droits comme un sujet contraint, comme une obligation pour eux de recul devant un communautarisme inscrit dans le paysage désormais. Bien sûr, il existe des différences d’un pays à l’autre… On ne peut faire l’impasse non plus sur l’imprégnation culturelle à terme que représentent ces transformations... Et pourtant. C’est la communautarisation paradoxale au final des droits des femmes. Que d’effroyables déceptions.

Une partie des féministes occidentales a, dès lors, au fil du temps, par compensation, stylisé ses luttes de libération passées comme un moment absolu. D’abord, cet élan de nostalgie compréhensible et légitime était doublé d’une lucidité critique face au présent. Et puis, les choses ont changé… Au lieu de reprendre de la vigueur face aux défis de la guerre des civilisations et à la visibilité renouvelée des femmes comme objet de polémique, au lieu de retrouver leur souffle libertaire initial de contestation de l’ordre moral établi, et leur créativité théorique passée, une partie des féministes ont accepté benoîtement une légitimité à prix réduit… qu’on leur offrait soudain. Elles ont soutenu des discours au minimum ambigu, voire explicitement impérialistes, racistes et discriminants à l’égard des couches populaires immigrées, s’autoproclamant gardiennes des valeurs féministes universelles. Mes mots peuvent paraître blessants envers elles. Cette discussion est pourtant nécessaire.

Féministes occidentales ou « occidentalisées » et Etats du Nord en viennent à faire alliance aujourd’hui pour défendre ensemble l’universalité des droits des femmes. Non qu’ils aient tort de formuler une si noble ambition. Et une riche palette d’attitudes existe en situation. Mais il faut examiner ce qui se joue ici. Les Etats du Nord, ceux-là même dont les dirigeants incluent en ronchonnant la nécessité de promouvoir des femmes à leurs côtés, et les dédaignent souvent dans la pratique, s’approprient ici le monopole de l’universalisme et les avancées du féminisme ensemble, eux qui récemment encore ridiculisaient ce dernier... Ce qui se joue ici : des intérêts géopolitiques immédiats, des guerres et des jeux de dominations à justifier ; le confortement en interne des Etats existants, de leur régression sociale et de leurs politiques sécuritaires ; le bilan enfin de la période antérieure des colonisations, impossible à solder dans un tel contexte, et qui grève insupportablement les mémoires des peuples et leurs rapports entre eux. Tout ça pris ensemble, a pour nom la guerre des civilisations. Côté occidental, on appelle ça aussi les politiques antiterroristes. Mais qu’est allé faire le féminisme dans cette galère ?!

Ainsi, l’Etat néerlandais, pour faire le tri de ses immigrés, propose-t-il désormais une vidéo à visionner par ses candidats à l’immigration vers les Pays-Bas en provenance des couches les moins fortunées de certaines régions du monde. Y sont montrés une baigneuse aux seins nus, un baiser homosexuel entre gays, une paire de fesses dénudées. Si vous démontrez lors de l’interrogatoire complémentaire au consulat que vous supportez cette vision, vous gardez vos chances d’obtenir votre visa… Quant à l’espace public français dominant, il s’enflamme vite aujourd’hui, au nom des droits des femmes, contre ce qu’il présente comme l’arriération culturelle de ses habitants de culture musulmane, donc immigrés ou d’origine immigrée très majoritairement, aussitôt qu’un fait divers concerne une femme musulmane... Faut-il ajouter que les discours des pouvoirs publics sont ici en phase avec l’opinion majoritaire.

Cette défense des droits des femmes, plus tumultueuse qu’avant, peut être sincère néanmoins, au-delà des considérations stratégiques ou du fond détaillé des faits divers. On s’approprie sincèrement en circonstance des valeurs que l’on pense pouvoir rattacher à sa culture afin de valoriser celle-ci. Pourtant, cette évolution porte avec elle des présupposés nombreux, des dérives immédiates et des contrecoups dangereux. Car l’universalité des droits des femmes est directement instrumentalisée ici à d’autres fins, je le répète : stigmatisation raciste de l’étranger, justification des politiques antiterroristes et de nouvelles guerres. Or, si déconstruire ce nouveau « féminisme » non pas occidental, mais pro-occidental, ne suffit pas, faut-il ajouter que les groupes d’individus victimes de cette évolution, eux, n’adhèrent plus, ou de moins en moins, que ce soit dans leurs composantes populaires, ou éclairées !

Une bonne partie des féministes occidentales contribue pourtant à cela. Du moins une majeure partie de celles qui ont acquis aujourd’hui des positions de légitimité sociale du fait de leur parcours, car la nouvelle génération émergente porte un discours différent, heureusement. Ces féministes complices d’un nouveau racisme y trouvent une reconnaissance sociale tardive. Devenues les alliées objectives de leurs Etats, elles peuvent passer outre les déceptions et les vexations subies. S’arrêtant dans leur réflexion et leur lutte, elles ont choisi la légitimation de leurs luttes passées par ceux qui hier encore les moquaient, plutôt que de mener à son terme, pour un nouveau tour d’effort, le chemin de la réflexion émancipatrice et de la solidarité nécessaire entre les opprimés. D’une lutte libertaire et de contestation à vocation d’émancipation universelle, elles ont fait une cause civilisationnelle au profit des tendances sécuritaires voire guerrières des pouvoirs dont elles-mêmes dépendent.

Pourtant, le féminisme, en tant qu’universalisme, est riche de pistes utiles nombreuses pour le temps présent. Le féminisme mené à son terme, c’est la reconnaissance de l’autre, en l’occurrence des femmes par les hommes, de prise en compte de cet autre, en tant que semblable et autre à la fois. C’est le fondement même de la mise en œuvre des droits humains, mais aussi le début de la démocratie, de l’universalisme, de l’humanisme, de la tolérance, du respect, du fondement social. C’est également l’obligation de regarder en face les schémas de domination, mais sous un jour particulier : ce n’est pas l’autre lointain qui est dominant, ni un groupe social ou national résolument extérieur, mais c’est l’autre au plus près de nous, nos voisins, nos intimes et nos concitoyens. Et, parce que nous ne cherchons pas quelque guerre des sexes, sauf dans une perspective féministe radicale de type occidental qui présente un fort intérêt théorique mais n’est pas viable comme schéma généralisable, nous voici à défendre la nécessité de composer tous ensemble pour avancer, non dans une opposition systématique entre les sexes, mais dans une négociation constante, que nous manions déjà en vérité depuis longtemps, pour un horizon commun, et, autant que possible, pour des valeurs communes en partage. Cela contraint à ne pas considérer l’autre comme une abstraction de pur dominant, mais comme un être complexe avec lequel négocier, et qui est porteur des contradictions de ce monde. Ce que nous sommes donc nécessairement aussi, autres et semblables, en miroir. Tel un grain de sable qui contient le désert entier, nous voici alors à plonger en nous-mêmes pour y contempler soudain l’humanité dans ses mouvements, ses blocages, ses possibilités. Le féminisme porte avec lui finalement dans sa corbeille de mariée tous les prémices de l’humanisme, et de la sagesse. Pas moins.

Ce n’est pas tout. En s’appuyant sur les droits humains universels, qui par nature ne souffrent aucune hiérarchie entre eux et sont un impératif constant, le féminisme rappelle que les droits des femmes ne peuvent passer à la trappe au profit d’autres enjeux qui seraient plus urgents. Contre la politique de l’optimisation à court terme des efforts qui est le propre de l’humain et de la politique, en d’autres termes, contre la politique du moindre effort qui fait que les droits des femmes restent toujours secondaires et relégués, que ce soit dans les luttes nationales, les luttes sociales, ou la politique en général, le discours des droits humains invite à refuser la hiérarchisation des causes. C’est ainsi que le combat contre les discriminations envers les femmes à l’intérieur de mouvements sociaux plus vastes en vient à contribuer à prévenir les dérives autoritaires des luttes, en garantir la viabilité de long terme en conformité avec l’intuition généreuse initiale. Les féministes n’ont pas à rougir d’insister sur les droits des femmes au beau milieu d’une lutte collective d’une autre nature, qu’elle soit sociale, religieuse, nationaliste, ou autre : ce faisant, elles sont dans leur droit, mais en outre, elles empêchent la lutte de s’enfermer dans une dérive suicidaire. C’est un apport majeur, une obligation pour les mouvements de se penser en interne dans leur complexité, leur ambition d’universalité, bref, de ne pas perdre de vue l’humain, même au prix d’efforts difficiles. Sans ces efforts immédiats et constants, demain, il sera peut-être trop tard.

Car le féminisme est par essence un inconfort, comme un caillou dans la chaussure. La bataille pour les droits des femmes à l’intérieur d’une lutte plus globale est non seulement légitime, mais on peut espérer que les tendances autocratiques y seront amoindries tant qu’elle y est encore possible. La voix de l’esclave est toujours une anomalie au départ. Or, l’anomalie est ce qui permet de progresser. Les militantes des droits des femmes sont par nécessité du côté de la dissidence, à l’intérieur même des dissidences, qu’elles obligent à se confronter utilement à leurs propres mécanismes inégalitaires en interne, bref à se renégocier en permanence, non plus avec la tentation de l’idéologie folle, mais comme des acteurs politiques durablement viables. Pour finir, je voudrais évoquer d’autres combats de femmes en lien aux droits universels. Les luttes collectives portées par les femmes commencent en effet de se démultiplier, à l’heure où le capitalisme sauvage et l’épuisement des ressources de la planète mettent au cœur des problèmes des populations les questions de nourriture, d’éducation, de santé, d’eau, de pollution et d’environnement, autant de sujets qui touchent particulièrement les femmes en tant que gestionnaires principales des foyers, et premières exploitantes des ressources naturelles locales nécessaires à leur survie familiale. En tant qu’individus, et parce qu’elles sont mères, elles revendiquent aujourd’hui de mille et unes manières, avec détermination toujours, de manière très politique au final, le respect leurs droits économiques et sociaux, droit à l’alimentation, à l’éducation à un environnement viable... Les femmes sont les premières meneuses le plus souvent de ces protestations, voire leurs uniques actrices. Comment ne pas conclure avec elles cet exposé sur féminisme et droits humains universels.

Je voudrais toutefois ajouter un bref commentaire sur le féminisme musulman en remerciement à votre invitation.

Le féminisme musulman n’est pas ce qu’il dit. Il est contraint de répéter qu’il s’abstrait des combats politiques pour se consacrer exclusivement à la lecture des textes sacrés, mais en même temps, il est totalement pris dans le nœud des contradictions actuelles, qui ne sont d’ailleurs pas totalement étrangères non plus à son propre dynamisme. Tenu de se battre de tous côtés pour démontrer sa légitimité qui lui est contesté de toutes parts, considéré comme occidental et traître par une partie des musulmans, et comme musulman et donc dangereux par les Occidentaux, il est malgré lui un objet politique international, et un modèle de dissidence aussi, alors même qu’il rêve d’un chemin à la fois discret et révolutionnaire au cœur d’abord des champs multiples où il opère, les droits des femmes, l’islam et la querelle de l’universalisme.

Or, entré presque malgré lui dans l’arène politique, le féminisme musulman se saisit de l’universalité des droits humains comme d’une valeur qu’il ose s’approprier au nez même de l’Occident qui en revendique l’exclusivité, et comme d’un outil aussi pour promouvoir concrètement les droits des femmes en dépit de certaines réticences musulmanes. Tactique, il invoque en outre les droits humains universels pour défendre son simple droit à l’existence en tant que voie particulière du féminisme. C’est une façon notamment de couper court à la peur occidentale de l’impérialisme musulman (le fameux esprit de conquête de l’islam), en l’occurrence ici la perversité prêtée au féminisme musulman de vouloir imposer une lecture islamique à tout le féminisme, bref, bien sûr, de le détruire. Mais ce faisant, le féminisme musulman se met à dos aussitôt une partie des acteurs musulmans qui y dénoncent une trahison explicite, car ceux-là aussi considèrent le féminisme comme exclusivement occidental, et le recours aux droits humains, qui plus est, comme une trahison culturelle, une façon de nier les valeurs de l’islam, perçues comme possiblement substitutives, en tout cas autosuffisantes, en termes d’universalisme. Si alors, pour rassurer et compléter le discours sur ce qu’il est, le féminisme musulman ose rappeler sa foi, et la foi en l’universalisme des valeurs portées par l’islam lui-même, le voici de nouveau renvoyé au mur occidental, celui cette fois de la peur d’une double échelle des valeurs, qu’on appelle parfois aussi le double discours... Le fameux double discours… Quand il s’agit de personnes en position dominante, on parle d’adaptation stratégique, d’incontournable complexité politique. Quand il s’agit de personnes classées par les dominants comme leurs subordonnées ou leurs challengers, on parle de double discours et de fourberie. Deux poids deux mesures. Aux uns, l’intelligence des situations et la négociation politique noble, aux autres la duperie. Qui essentialise qui dans l’histoire ? Cela dit, cette question de la double échelle des valeurs, religion et droits humains, reste troublante. Non par l’absence de réponses apportées. Il en existe de nombreuses qui sont subtiles, complexes, humanistes et « rassurantes ». Mais parce que la complexité même de ces réponses chahute la sérénité du champ du politique qui lui préfèrerait si possible une uniformité mécanique, avec des valeurs implicites non questionnées, afin de se définir lui-même comme pure gestion au quotidien des affaires humaines. Or, ce qui s’ouvre ici soudain par cette double échelle des valeurs de la foi intime et des droits humains universels, tous deux contraignants, c’est la question métaphysique, au cœur même du politique. Plus qu’un danger majeur, dans le cas qui nous préoccupe, c’est cette béance métaphysique soudaine au beau milieu de certitudes convenues qui dérange, comme un chahutage philosophique insupportable, auquel il faut toute la force du politique soudain redéployé pour faire face, entre norme, négociation et retour sur certains présupposés qu’on croyait acquis et soudain invalidés. Les chrétiens en politique ont vécu peu ou prou la même histoire.

Enfin, il est une dernière sorte de dérangement apporté par le féminisme musulman. Celui, à l’intérieur même du féminisme, de la notion d’égalité. Appuyé sur une culture religieuse historique, il se rapproche ici des féminismes du Sud enracinés dans les luttes environnementales populaires portées par des femmes, qui se construisent d’emblée avec la pensée implicite d’une différence entre l’homme et la femme, au regard des rôles dévolus à chacun par la vie. Rien n’est plus déroutant aux yeux d’un féminisme occidental qui se perçoit comme dominant, et qui a grandi dans des sociétés individualistes et largement technologisées, pour ainsi dire humainement abstraitisées. Sans développer davantage, je constate qu’entre ces deux visions féministes de l’humanité existe une ligne de fracture qui est l’objet de méfiances réciproques durables, voire de mépris, et je parle ici pour ma part en particulier des féministes occidentales, quand celles-ci ne cèdent pas sinon à une tout aussi regrettable vision romantique ambigüe qui rappelle notamment les critiques d’Edward Said à propos de l’orientalisme.

Le féminisme musulman peut apporter toutes les preuves de ses fondements, de son intérêt, et de sa beauté. Il reste au final un caillou dans la chaussure. Et pourtant il apparaît bien comme l’une des voies du féminisme en quête d’universel, capable d’aider à définir celui-ci plus en profondeur, de contribuer au débat, capable en outre de s’appuyer sur le champ des droits humains pour en faire une arme de transformation politique de l’intérieur même des communautés, sans s’y restreindre ni les figer. Son potentiel critique, l’anomalie qu’il représente du fait de la période, empêchent enfin de part et d’autre bel et bien la rigidification des fronts de la guerre des civilisations. Il est profondément géostratégique… Curieux sort, pour ce qui est d’abord à mon sens au départ un humanisme. Il lui reste en tout cas à travailler au plus près de ces constats. Ce que les membres du GIERFI font subtilement déjà avec force et créativité. Les résultats lui sont assurés, quand bien même modestes à première vue, et non révolutionnaires hélas. Ainsi va pourtant le chemin magnifique et ardu de la Connaissance, plus solitaire toujours au final qu’on ne voudrait, mais porteur de subtils changements en profondeur, si vous me permettez ce mot issu de ma culture chrétienne qui est une valeur en partage, porteur d’espérance.

Karine Gantin


Affiche de la conférence

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