Topics & Roses
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Les Tunisiennes au coeur des protestations du bassin minier de Gafsa
TUNISIE / MOBILISATION POPULAIRE /
Sunday, 18 May 2008
/ Karine Gantin / Karine Gantin is the editor of Topics&Roses. She is also the manager of Centre Artemis Paris.
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Le grondement populaire que vit le bassin minier de Gafsa (120 000 habitants) à Métlaoui, Redaïef et Moularès depuis bientôt cinq mois, a éclaté le 5 janvier 2008, jour de la publication de résultats au concours de recrutement professionnel au sein de la Compagnie des Phosphates de Gafsa (CPG), principal employeur de la région, des résultats considérés par la population comme frauduleux et basés sur le favoritisme.
Depuis cette date, des grèves, manifestations, occupation de lieux symboliques par les chômeurs jeunes et moins jeunes, diplômés et non diplômés, ont été organisées partout dans cette région avec la participation de toutes les catégories socioprofessionnelles, sans distinction d’âge, ni de sexe ni de rang social. Certains responsables syndicaux locaux sont à la pointe de ce mouvement.
Une impressionnante présence policière et militaire encerclerait les villes du bassin. Incidents, drames, confrontations, arrestations, ont ponctué déjà la vie ces derniers mois des populations dans le bassin minier de Gafsa. La difficulté d’obtenir des informations est extrême dans ce pays cadenassé. Les représentants identifiés de la société civile tunisienne, syndicats, partis d’opposition, associations des droits de l’homme et des droits des femmes, collectent les informations, soit en réussissant (parfois) à franchir les barrages de cette région encerclée, soit par le biais des télécommunications en joignant les habitants de Gafsa, militants syndicaux et familles sur place. L’ensemble est relayé, entre autres, par le Comité de Soutien au bassin minier de Gafsa à Paris, plate-forme d’associations et syndicats hébergée chez l’une d’entre elle, la FTCR (Fédération des Tunisiens pour une Citoyenneté des Deux Rives). C’est sur la base des sources recueillies directement auprès du Comité de Soutien à Paris, d’appels téléphoniques en Tunisie et de communiqués rédigés au fil des mois, d’un article de Florence Beaugé du Monde enfin, que ce petit aperçu est donné.
Les protestations, en effet, connaissent aussi une participation notable des femmes, et témoignent de différentes formes d’engagements en situation de leur part.
Si les rares photos disponibles témoignent d’une prédominance masculine dans les cortèges de manifestants, observateurs et participants insistent néanmoins sur la mixité du mouvement et des protestations de rue.
Par ailleurs, fait particulièrement important, à la source du déclenchement en janvier, les veuves de mineurs, dont les maris sont décédés suite à des accidents ou maladies professionnelles non indemnisés, avaient entamé des grèves de la faim sous des tentes d’infortune, en plein froid… Elles espéraient en effet que leurs enfants seraient recrutés prioritairement au nom d’un mécanisme de solidarité. Elles protestaient ainsi contre les résultats du concours de recrutement au sein de la compagnie des phosphates, dont l’annonce a déclenché l’insurrection régionale à leur suite, ayant été jugés frauduleux et insultants par une population subissant lourdement le chômage doublé d’un système de corruption et de clientélisme notoire.
Le samedi 5 avril, à Tunis, c’est au siège de l’Association Tunisienne des Femmes Démocrates (ATFD), particulièrement mobilisée, que des représentant-e-s et militant-e-s de la société civile tunisienne ont marqué leur soutien à la population du bassin minier de Gafsa, organisant une journée de solidarité nationale au nom d’un Comité national de soutien. Cette journée, dit un communiqué, a marqué la présence de toutes les sensibilités associatives, sociales et politiques. L’ATFD, association féministe clé de la scène tunisienne et maghrébine, est à la fois porteuse d’une culture, d’une histoire et d’une expertise féministe forte, et se caractérise en outre par une forte culture de lutte démocratique,ainsi que par une insistance sur les luttes sociales de la part de nombreuses militantes en son sein.
En avril, suite à une vague d’arrestations parmi les jeunes et les syndicalistes, une manifestation initiée par les femmes de la ville de Redeyef (ville du bassin minier de Gafsa, épicentre du mouvement), mères et épouses des arrêtés en tête, a conduit à un rassemblement plus vaste devant le siège de la sous-préfecture (Motamadia). Le gouvernement a cédé en soirée en libérant tous les jeunes qui avaient été arrêtés depuis dimanche, mais pas les syndicalistes. Le rassemblement s’était effectué en présence d’une délégation de trois membres de la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme (LTDH), dont un membre du comité directeur, Abderrahmane Hedhili, interrogé par téléphone, et des présidents des sections de Kerouan et Jendouba. Abderrahmane Hedhili témoigne que le rassemblement avait donné lieu à plusieurs prises de parole publiques. Le sous-préfet interpellé avait alors d’abord accepté le principe d’une ouverture des négociations mais avait refusé finalement que celles-ci se fassent en présence des représentants de la LTDH. De ce fait, celles-ci n’ont pas eu lieu. Les revendications des manifestants portaient sur la libération des personnes arrêtées, la fin du harcèlement par les nombreuses forces de police déployées dans la région, et l’ouverture de négociation avec les syndicats et toutes les composantes de la société civile impliquées dans les protestations.
Depuis, les mobilisations et protestations se poursuivent, ponctués d’évènements dramatiques.
Consulter notamment la rubrique "Gafsa" du Comité de Soutien aux Habitants du Bassin Minier de Gafsa, sur le site de la FTCR [www.ftcr.eu->www.ftcr.eu], où les différents communiqués donnent à lire le déroulement des évènements au fil des semaines, ainsi que l’article cité ici de Florence Beaugé dans Le Monde.
Karine Gantin, avec le Comité de Soutien aux Habitants du Bassin Minier de Gafsa (Paris)
Publications ultérieures à cet article:
- Karine Gantin & Omeyya Seddik "Révolte du peuple des mines en Tunisie", juillet 2008 http://www.monde-diplomatique.fr/2008/07/GANTIN/16061
- Karine Gantin, "Répression en Tunisie", septembre 2008 http://www.alternatives.ca/auteur1177.html
Ajout 16 juin 2008 (vidéo en arabe) :