Féminisme et fascisme : le Caïman de Nanni Moretti
samedi 11 octobre 2008 par Karine Gantin
Version imprimableDans les mises en abîme classiques de toute oeuvre artistique qui se respecte, où chaque niveau de lecture en cache un autre encore, il me semblerait évident pourtant que ce Caïman là cache d’abord, à crever l’écran, un film sur les relations homme-femme. Avec, surtout, une mise en parallèle sidérante entre le fascisme et le machisme, ou plus précisément, entre le fascisme et l’insurmontable économie de la domination homme-femme... Insurmontable... si ce n’est dans le sacrifice masculin le plus christique, le plus total qui soit. Un sacrifice dont on peut s’approcher, et pourtant impossible. Impressionnant. Un remake qui ne dit pas son nom de La Dernière Femme de Marco Ferreri. Je fais vite. Mais c’est si évident pour moi que le sujet du film que Moretti a voulu faire est ici, que je ne comprends pas pourquoi il n’est pas présenté ainsi dans les critiques que j’ai parcourues. Ce mystère fait aussi partie de mon sujet.
Car utiliser Berlusconi et la corruption mafieuse qui l’a porté au pouvoir, en pleine période électorale en Italie, donc très réactive à une telle mise en scène, pour cacher derrière le traitement de ce sujet un sujet en réalité tout autre, il fallait oser... On ne pouvait rêver en vérité masque plus incroyable. Peut-être parce que "l’autre" sujet, justement, à savoir ce parallèle entre fascisme et relation homme-femme, à savoir la prétention à faire un remake de La dernière femme, est plus tabou, polémique et casse-cou encore.
Tourner un film sur Berlusconi ? La mise en place d’un tournage sur Berlusconi constitue l’intrigue principale du Caïman de Moretti, lequel se déroule dans les milieux du cinéma. Or, un tel film sur un tel personnage, suggère Le Caïman, seule une jeune femme est en mesure de le faire, peut oser le faire. Or, ce n’est pas n’importe quelle jeune femme. Lesbienne vivant en couple avec une autre femme, mère avec sa compagne d’un enfant procréé par insémination artificielle aux Pays-Bas... "Non ne dis pas ne dis pas, je préfère pas savoir", dit le producteur Bruno Bonomo (entre "bonobo" et "bonhomme" ?), alter ego de Nanni Moretti. Ce producteur en question, personnage central du Caïman, financera le film de la jeune réalisatrice, finalement, grâce à l’argent de sa femme, qui elle-même le tient de ses parents et qu’elle lui offre suite à leur rupture en guise de rachat de sa part d’appartement. Car dans Le Caïman, le personnage central est dépouillé toujours plus avant des attributs de sa masculinité, dans un trajet sacrificiel toujours plus délirant : il divorce de sa femme malgré son désir de la garder ; il enlace celle-ci, en pleine période de divorce, dans un jeu desexualisé sur le lit des enfants ; il inocule le mot "sexe" à l’un de ses fils sous forme de piqûres de jeu libre et sûr dans un lit commun qui évoque pourtant en filigrane le risque de l’inceste ; toujours plus impeccable ("sans faute" étymologiquement), il se montre droit aussi avec la jeune réalisatrice, prend le temps de rassurer au passage son épouse au sujet de cette autre femme, essaye parallèlement aussi de réconforter la jeune cinéaste face à un lourd connard déplacé... alors même qu’est évoqué, face à la compagne lesbienne de la réalisatrice, qu’il "aurait pu tomber amoureux" en tant que producteur de sa jeune protégée, etc.
Mais si son atttitude impeccable force l’attachement et le respect, et lui semble consubstancielle, plein d’éléments rappellent en réalité que "rien n’est acquis", que son parcours est celui d’un effort constant, un effort paradoxal pour être aimé, et qui pourtant jamais ne suffit : il ne réussit pas à garder sa femme, dont il est visiblement toujours amoureux, et les scènes de la rupture progressive rythment le film comme un fil d’Ariane. La perspective du moindre espoir de chance avec la jeune réalisatrice est totalement exclu, et il y renonce alors qu’on s’aperçoit qu’il s’en nourrissait secrètement, comme d’un rêve au moins, jusqu’à la découverte de l’homosexualité de celle-ci.
En fait, le ton est donné par la première scène du Caïman. Celui-ci démarre sans préavis avec un extrait d’un navet de "série Z" du producteur Bruno Bonomo. Dans cette scène, la jeune mariée tue son époux devant l’autel (où le maire dévidait une logorrée communiste kitsch italienne)... avant de réussir à s’enfuir, échapper aux balles tirées sur elle, crever enfin une vitre de verre, à la fois "plafond de verre" et miroir du monde réel. Bref, de façon surréaliste, magique, elle va s’en sortir, elle ("Souviens toi que je suis Médée", écrit Isabelle Stengers. Ou le mystère de Médée, "criminelle mais innocente et libre", bref le miracle de l’émancipation féminine au sortir de l’enfermemement dans l’économie psychique, amoureuse et sociale masculine).
Autre scène clé, et bouleversante, du Caïman : au sortir de chez le notaire où il vient d’accepter de recevoir de l’argent de sa femme pour prix de la consommation de la rupture (il cède sa part d’appartment), Bruno Bonomo et sa désormais ex-femme, chacun dans leur voiture, roulent côte à côte et se doublent tour à tour, lui menant ce jeu tendre qu’il invente à mesure, comme pour mettre en scène le fait qu’il n’a pas été maitre du jeu, qu’il la laisse le doubler mais veut revenir à sa hauteur, que son émancipation à elle se fait avec son consentement à lui aussi, que sa propre volonté de la dépasser n’est qu’espièglerie et douceur... Jusqu’au bout de ce jeu, jusqu’au bout du film, il semble en fait espérer encore être aimé, être aimé au moins pour "tout ça", c’est-à-dire tout cette abnégation consentie, tout en étant conscient dans le même temps que cette émancipation féminine ne se fera en réalité qu’au prix de son sacrifice à lui le plus absolu. Injustice troublante, étouffante. Aucune rémission. Le film, qui épouse le cheminement de Bruno, coupe le souffle du spectateur.
Pourtant, le malheur personnel de Bruno, son cheminement christique jusqu’à l’ultime image (celle d’une impasse tragique plutôt que d’une rébellion), est en balance constante avec l’émotion subtile que lui distille sa "découverte" humaine, sociale, politique et peut-être mystique...à la fois de son sacrifice à lui et du miracle de l’émergence de deux "nouvelles" femmes au fil de l’histoire, à savoir son épouse divorcée et la jeune réalisatrice débutante qu’il produit.
Chaque détail du film, infiniment riche, raconte cependant combien ce cheminement n’est pas sans embûche. Les indices de l’impossibilité et du drame, qui deviendra tragédie dans la dernière scène, sont donnés notamment à travers les scènes de son harcèlement récurrent sur son ex, à travers aussi les scènes de films Z dont il est producteur et qu’il raconte à ses enfants. Par exemple, dans une scène que l’on voit à l’écran, un critique gastronomique se montre odieux avec la cuisinière du restaurant où il dîne, comme dans une parabole de scène de ménage à peine détournée... Mais là encore, comme dans la première scène du film, il y a mise à mort du mâle et triomphe de l’héroine... Bruno souffre, mais les films qu’il a produit (et où il faisait autrefois tourner son épouse aujourd’hui en instance de divorce) tapaient déjà au coeur de sa "révélation" à venir. Comme dans un parcours mystique, du reste, faut-il le préciser : on finit par trouver, au prix d’épreuves traversées et d’efforts consentis, ce à quoi on aspirait secrètement déjà, ou du moins ce que l’on pressentait obscurément depuis longtemps.
Enfin, la dernière scène, qui fait accéder le film au tragique. Faute d’acteur, c’est "Nanni Moretti" lui même qui joue le dernier Berlusconi de ce film en abîme multipliant les scènes d’autres oeuvres cinématographiques (les navets passés du producteur Bonomo, ou les scènes à venir du film écrit par la jeune réalisatrice sur Berlusconi). Le plan final du Caïman, qui met en scène Nanni Moretti en gros plan, avec un palais de justice en feu en arrière-plan, est une évocation explicite du fascisme... Comme une impasse. La métamorphose a bien eu lieu pour les deux femmes principales du film, elle est en latence peut-être aussi pour les deux jeunes garçons de Bruno, mais lui ne réussira pas à mener la sienne à son terme. A moins de considérer que ce fascisme là, cette économie totalitaire de domination qui structure la relation homme-femme, fait partie intégrante de la révélation reçue, puisque sur terre en l’état, il ne peut y avoir place que pour l’impasse la plus brutale, et que la grâce semble se dérober le plus souvent alors qu’on croit l’atteindre enfin au plus près. Bref, la révélation a été reçue, et est donnée au spectateur par une magistrale leçon de cinéma, dans un film riche de mise en scène sur le cinéma justement. Mais cette révélation butte sur son accomplissement, sinon sur sa perfection, et renvoie le réalisateur comme en arrière de lui-même. Jusqu’à la réalité la plus crue de l’humanité, son abjection par excellence. Etouffant, vous disais-je.
Il reste pourtant l’espoir, comme suggéré déjà dans cette chronique. Les gosses (deux garçons), perturbés par la séparation des parents, cherchent, certes désespérément, la pièce manquante du jeu de légo, totalement démonté à même le sol, pour une reconstruction qui est encore à commencer ; les deux gamins encore, avec leur père cette fois, dans une autre scène, se mettent à danser, maladroitement, sur une musique raï enflammée de l’album "1,2,3 soleil" pendant que femmes et immigrés (deux catégories discriminées, ce qui renvoie à l’actualité italienne) peignent les décors du film à venir, moment jouissif ; le père et ses gosses, toujours, dans la tente qu’ils viennent de monter et qui s’écroule, une tente en guise de 2e maison promise aux enfants par Bruno afin de leur faire apparaître comme positive son divorce d’avec leur mère, et montrant le trio se débattant sous la toile informe qui les enveloppe comme des boyaux les digérant... ou comme un utérus promettant une nouvelle naissance ; encore, la libération de Bruno le producteur, au coeur de l’échec, par une pelleteuse qui défonce sans ménagement les murs de son studio de cinéma où il s’était réfugié et endormi, une pelleteuse qui crée un trou de lumière, scène apocalyptique ; le sérieux du rythme de vie pris par l’ex femme, qui ne veut plus jouer dans les films de son mari comme à ses débuts ("c’est du passé" "elle ne veut plus" sont des leitmotivs du Caïman) mais s’acharne sur ses horaires de répétition pour participer à une chorale ; et surtout, surtout, le mot "action" prononcé trop doucement, puis doucement mais fort (sur les conseils de Bruno, qui a mis là tout son argent reçu de sa femme), par la jeune réalisatrice le premier jour enfin du tournage de son film sur Berlusconi. Deux modes d’émancipation féminine au final apparaissent ici : l’une, chorale, et l’autre, solitaire. Mais toutes les deux nécessairement totales, puisque passant par l’art.
Faire un grand film sur Berlusconi, ambitionnait le producteur Bruno... (le film met en scène aussi une histoire parallèle du film à tourner d’un concurrent, sur Christophe Collomb)... Faire un grand film ne peut passer que par le choix d’un grand homme comme sujet.... s’amuse aussi à dire Le Caïman avec un humour féroce : car la "vérité" de ce monde sur "l’homme" est nécessairement produite à grands moyens, tandis que seules en revanche les séries Z du producteur raté mais si tendre Bruno Bonomo, navets invraisemblables auxquels personne ne prête sérieusement attention, peuvent en revanche devenir le lieu secret, camouflé mais véritable, de la mise en scène de l’émancipation féminine (une telle émancipation passe par le meurtre du mâle dans les films de Bruno... Cette violence là n’est pas scénarisable de façon admissible autrement, à l’inverse des violences politiques et guerrières d’un Berlusconi ou d’un Collomb). Sauf ce que ce grand film là, celui sur Berlusconi dont on voit les prémisses du tournage au fil du Caïman, ce grand film sur un fasciste, comme le suggèrent certains plans de Moretti... sera tourné par une femme jeune, lesbienne et professionnellement encore inexpérimentée. Jouissif pied-de-nez.
L’émancipation féminine et la politique auraient donc partie liées ? Le changement des rapports sociaux, au temps de l’argent roi de Berlusconi, ne pourra passer par une révolution "émancipatrice de gauche" que le communisme italien a raté, comme induit dans la première scène. Mais peut-être le féminisme, lui, ou du moins le respect forcé des tentatives d’émancipation féminine, avec son pendant sacrificiel masculin irrémédiable, seront-ils les lieux à venir de la transformation sociale nécessaire ? Conclusion extrême, mais que le réalisateur Moretti lui même ne renierait sans doute pas, à y regarder de près. En tout cas, si ça ne passe pas par là, ça ne se fera pas, semble-il dire en substance. Et d’ailleurs voilà pourquoi il y a peut-être impasse, malgré tout. Une impasse qui a à voir avec le fascisme, ce fascisme vu comme une économie totalitaire des rapports humains, faite de mécanismes de domination prioritairement légitimés mais aussi consubstanciellement de brouillage de la frontière entre privé et public... On comprend qu’il ait bien maquillé son sujet. On se désole aussi que les critiques n’y aient vu que du feu.
Le Caïman de Moretti est un film politique (moins sur Berlusconi que sur la relation homme-femme en tant qu’objet social), voire mystique (un cheminement fait de luttes, de drames et d’intuitions qui s’enchevêtrent), mais nullement un film à thèse pourtant. Car cette vision extrême de l’humanité (où l’humain rejoint le politique) présentée par la dernière scène de ce film est au final dans le même mouvement bel et bien un cheminement intime, personnel, unique, extrême aussi... que seul l’art justement et ses hallucinations multiplement habitées permettent dans une telle représentation de complexité. Mais à l’inverse de l’adage qui dit que "le diable se cache dans les détails" (à moins de donner une interprétation différente, méphistophélique et faustienne, au mot "diable", c’est-à-dire le faire créateur et révélateur du monde et accoucheur des hommes, vision soi dit en passant explicitement, mystiquement et violemment sexuée chez Goethe), ce sont les détails du film, et le scénario si étroitement ficelé, qui ouvrent des perspectives en amont du tragique final, comme pour un renversement de temporalité où ce qui précède est en réalité ce qui succède. En effet, la chute tragique du film précède le déroulé si richement de porteur de pistes de sortie, de chemins d’espoir et d’humanité contradictoire donc accoucheuse potentielle de nouveauté... Un temps à rebrousse-poil comme pour une remontée du temps paradisiaque. Le cinéma et ce qu’il a démultiplié de possibilités pour l’écriture artistique dans le brouillage de l’échelle temps, fonctionnent ici magiquement, bref à plein, comprenez : à la manière d’un vaudou.
Il s’agit bien de cinéma, et de création... Voilà enfin apparaître l’ultime sujet du film, plus totalisant encore qu’une économie politique fût-elle fasciste. Un Marco Ferreri, auteur de La Dernière Femme, était coutumier de l’exploration des extrêmes. Nanni Moretti, dans son oeuvre cinématographique, a davantage joué quant à lui du paradoxe désarmant, bouffonne voire poétique, parabolique toujours. Et pourtant, fait notable, signe majeur, pas de désarmement au final cependant dans la dernière scène du Caïman. En se mettant en scène lui-même sur un mode au contraire lourdement armé à travers le personnage puissant et ravageur de Berlusconi, le réalisateur avoue, finalement dans une ultime pirouette très émouvante, ses propres limites en tant qu’homme... et créateur. Une limite posée en tant que condition de la création justement, peut-être. Et ce moment inverse de la révélation sublime, à savoir la révélation atroce sur ce qu’il y a en soi, est donné parfaitement dans une image sans "romantisme" ni ouverture (elle se déroule dans une voiture, et le champ d’arrière-plan est perçu... par la vitre arrière). Et pourtant, elle tient cette place centrale : elle clôt le film, lui donne tout son sens. Certes, l’auto-mise en scène fasciste est tragique justement parce qu’elle touche au sacré dans son autre versant : l’horreur absolue, l’humain pris au piège de lui-même sans sortie possible. Mais le cinéma soudain inverse la machine. Comment ne pas se remémorer alors le mot "action" de la jeune réalisatrice. Le film recommence ailleurs. Il continue. Celui qu’elle tourne commence à peine.
Puisque c’est de cela qu’il s’agit aussi avec Le Caïman, d’une mise en abîme réflexive sur ce que permet la création. L’acte créateur est omniprésent dans le film au travers des inclusions de scènes d’autres oeuvres cinématographiques (navets du producteur, scènes rêvées puis réelles du film sur Berlusconi, extrait enfin du film sur Christophe Collomb fait par le rival, qui a volé à Bruno l’acteur prévu pour le rôle de Berlusconi), au travers de nombreux dialogues et péripéties diverses dans les milieux du cinéma, au travers enfin du parcours artistique débutant des deux personnages féminins principaux. Il sert au créateur, à la créatrice, à exprimer ses angoisses ou bien ses intuitions, se libérer ou bien se battre, mais toucher au divin presque toujours quand porté dans la souffrance, un divin qui réside avant tout au coeur de l’humain ("connais-toi toi-même"), et dans le regard vrai posé sur l’autre (Bruno) ou bien sur son parcours de libération à soi soudain révélé (son épouse). Bref, Moretti s’enfonce une torche de lumière à la main dans les méandres de sa société et ses débats et impasses pour les éclairer divinement et leur donner un sens nouveau ou supérieur, sans résoudre rien pour autant au final. Surtout, même dans un monde qui leur est largement hostile, les femmes ont ici le choix des armes, comme réalisatrices audacieuses d’elles mêmes et de bien plus encore (un film politique majeur), ou au sein plus discrètement d’une chorale humaine égalitaire (comme pour se protéger encore un peu, ou bien au nom d’une vision différenciée du monde). Elles ne sont pas figées. Elles avancent, vite, se glissent vers l’avant, mi-souris mi-éléphantes, ne voyant que leur volonté (celle de divorcer et ne plus tourner dans les films de son mari pour l’une, celle de monter coûte-que-coûte ce film sur Berlusconi ambitieux et politiquement dangereux pour l’autre). Seuls les hommes restent en arrière, aveugles ou peinant à suivre. Mais au bénéfice, pour ceux qui "voient", de nouvelles visions, fussent-elles atroces aussi, et de nouvelles créations, fussent-elles tragiques.
Pirouette aussi jouissive que celle d’une réalisatrice lesbienne tournant son Berlusconi à la barbe de tous, pirouette aussi profonde également : Moretti a finalement réécrit le Faust de Goethe, un Faust contemporain, plus humain, et enfin, forcément genré encore, en partie peut-être au moins dans notre monde d’aujourd’hui, comme au minimum une étape nécessaire, mais non plus irrémédiablement sexué désormais à la façon de Goethe et de son époque. Avec une chute de l’oeuvre inversée en miroir par rapport au Faust, qui finissait sur le vers célèbre "l’éternel féminin nous attire vers le haut", tandis que le Caïman chute sur le fascisme forcément "masculin". Un faux miroir, donnant l’impression trompeuse au premier abord de tomber sur la même conclusion, quoique présentée sous son autre versant... Car le tragique sacrificiel est ici en réalité inversé par Moretti par rapport à l’oeuvre de Goethe, où la victime était la femme, en l’occurence la tristement célèbre Marguerite. Moretti montre certes dans Le Caïman les limites systémiques violentes auxquelles se heurtent les femmes, mais il met en scène des libérations réussies également, grâce à la violence (les meurtres des mâles, dans les navets de Bruno), à l’obstination auto-centrée et la création (le parcours des deux protagonistes femmes). Un chef d’oeuvre, porté à bout de souffle par le double génie de Moretti et du cinéma.
Karine Gantin
Karine Gantin
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