Le féminisme, libertaire par nature
dimanche 8 mars 2009 par Topics & Roses , Karine Gantin
Version imprimableComment définir la perspective féminine, féministe et de genre, et qu’apporte-t-elle aux informations et analyses sur les mouvements sociaux ?
Vous ne commencez pas par la question la plus facile ! Une perspective "féminine" insiste sur la place et le rôle des femmes. C’est un enjeu politique en soi : il concerne l’organisation des modes de vie ensemble dans la communauté, quelle qu’elle soit. Le "féminisme" y ajoute une approche théorisée, bref une conceptualisation politique en propre, qui peut recouper par sa propre diversité interne l’échiquier politique "classique" dans toutes ses nuances, sans s’y réduire... L’approche dite "de genre" est une branche du féminisme, ou une avancée de celui-ci, qui ne s’attache plus à considérer des "hommes" et des "femmes" mais des "rôles" féminins ou masculins, sur les plans privés, sociaux, politiques, culturels, etc., eux-mêmes complexes dans leur enchevêtrement, leur origine, leur propre horizon d’évolution. Dans les trois cas, nous sommes au cœur de la politique dans toute sa richesse. Et en adoptant cette triple perspective pour produire informations et analyses, on enrichit d’emblée le regard sur les mouvements sociaux, voire on lui ajoute une profondeur utile.
Dans un contexte de luttes sociales et dans un cadre de solidarité internationale tous deux en transformation quels sont les éléments importants à prendre en compte dans la batail-le pour les droits des femmes ?
"Dis-moi ce que tu montres de la femme, je te dirai alors dans quel camp tu es et de quel oppresseur tu relèves…" Nous en sommes aujourd’hui arrivés de nouveau, dans de nombreux débats sociétaux et géopolitiques, à une instrumentalisation des "droits des femmes" : justification de guerres, de néo-impérialisme, ou de conservatisme social, de restriction des droits aujourd’hui au nom d’une société normée devant lutter contre l’occidentalisation néocoloniale, etc. Les femmes luttant pour leurs droits, où qu’elles soient, sont sommées de s’aligner, de se montrer "conformes". Il faut donc revenir enfin d’une part au travail de terrain par les femmes elles-mêmes, qui prend en compte de manière complexe le contexte politique, social, culturel local, que ce soit en termes de "fond" ou de stratégie, d’autre part revenir à la liberté d’essayer et d’inventer politiquement le féminisme, sans se préoccuper de "choisir un camp" politique qui serait "féministe par excellence", là où il y a d’abord en réalité des enjeux de pouvoir. Le féminisme est par nature un mouvement libertaire, porté par une société civile forcément indépendante de l’Etat. Il peut y avoir une politique gouvernementale audacieuse en faveur du droit des femmes. Mais le "féminisme d’Etat" est par essence une duperie.
Vous animez le site Topicsandroses.Com où sont "mises en valeur les analyses politiques à la croisée des critères de sexe, classe, race avec attention particulière aux batailles menées en lien aux religions". Pouvez-vous donner des exemples d’analyses qui ont pu être mises sur la place publique et qui sont rarement présentes dans d’autres médias ?
Le projet revient par exemple à raconter comment les femmes migrantes travaillant au noir dans les emplois domestiques doivent lutter aujourd’hui, et par quelles alliances, contre des violences additionnées écrasantes ; ou pourquoi le féminisme musulman est une lutte légitime portée de l’intérieur d’une communauté afin de transformer celle-ci en interne, mais aussi de modifier le regard sur celle-ci en externe ; ou encore pourquoi les luttes féministes, sociales et antiracistes des enfants de l’immigration postcoloniale portent avec elles une créativité politique de résistance démocratique et forte. Il tente aussi de cerner les endroits où la théorie politique ou les discours dominants fléchissent positivement devant les luttes menées… ”
Interview à retrouver sur http://www.mrafundazioa-alda.org/article-28626422.html
(*) Karine Gantin, ancienne journaliste, responsable du Centre Artemis pour les droits fondamentaux, est la rédactrice en chef du site d’information Topicsandroses.com. Celui-ci a bénéficié notamment d’une culture politique fortement marquée par le passage de l’auteure au Centre d’Etudes et d’Initiatives de Solidarité International (CEDETIM) à Paris, et à l’Assemblée Européenne des Citoyens (AEC-HCA, Helsinki Citizens’ Assembly-France). Le CEDETIM a une longue tradition anti-impérialiste, de solidarité internationale et de travail à l’interconnexion des luttes sociales. L’AEC-HCA, issu de la Guerre froide et du "tournant" 1989-1991, défend des initiatives de résolution pacifique des conflits à partir d’un militantisme citoyen, démocratique et social, en Europe et dans les régions voisines.
Karine Gantin
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