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Féminicides en Amérique centrale et au Mexique : projet de rapport du Parlement européen.
mardi 10 juillet 2007 par European Parliament Parlement Européen Europäisches Parliament Parlamento Europeo
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Ce qui suit est un document du Parlement Européen : un PROJET DE RAPPORT sur les meurtres de femmes (féminicides) en Amérique centrale et au Mexique et le rôle de l’Union européenne dans la lutte contre ce phénomène (2007/2025(INI)). Commission des droits de la femme et de l’égalité des genres. Rapporteur : Raül Romeva i Rueda. Riche d’informations, d’analyses, et de propositions d’actions.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION DU PARLEMENT EUROPÉEN
.... sur les meurtres de femmes (féminicides) en Amérique centrale et au Mexique et le rôle de l’Union européenne dans la lutte contre ce phénomène (2007/2025(INI)).
Le Parlement européen,
– vu la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948,
– vu les pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme de 1966,
– vu la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes de 1979 (CEDEF) et son protocole facultatif de 1999,
– vu la Convention interaméricaine sur la prévention, la sanction et l’élimination de la violence contre la femme (Convention de Belém do Pará) de 1994,
– vu la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1984 et son protocole facultatif de 2002,
– vu les recommandations du rapport du 12 mai 2005 sur la disparition et l’assassinat de nombreuses femmes et filles au Mexique, élaboré par la commission sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes du Conseil de l’Europe,
– vu les recommandations du rapport sur l’intégration des droits fondamentaux des femmes et d’une approche sexospécifique : violence contre les femmes, relatif à la mission au Mexique effectuée en janvier 2006 par Mme Yakin Ertürk, rapporteur spécial des Nations unies sur la violence contre les femmes, ses causes et ses conséquences,
– vu les recommandations du rapport sur l’intégration des droits fondamentaux des femmes et d’une approche sexospécifique : violence contre les femmes, relatif à la mission au Guatemala effectuée en février 2005 par Mme Yakin Ertürk, rapporteur spécial des Nations unies sur la violence contre les femmes, ses causes et ses conséquences,
– vu les recommandations du rapport sur la situation des droits des femmes à Ciudad Juárez (Mexique) : le droit à ne subir ni violences, ni discriminations, élaboré par la Commission interaméricaine des droits de l’homme en mars 2003,
– vu l’audition publique sur les féminicides, organisée conjointement par la commission des droits de la femme et de l’égalité des genres et la sous-commission "droits de l’homme", au Parlement européen en avril 2006,
– vu l’accord de partenariat économique, de coordination politique et de coopération entre la Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et les États-Unis du Mexique, d’autre part [1], l’accord de dialogue politique et de coopération entre la Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et les Républiques du Costa Rica, d’El Salvador, du Guatemala, du Honduras, du Nicaragua et du Panama, d’autre part [2], de 2003 (en cours de ratification) et l’accord-cadre de coopération entre la Communauté économique européenne et les Républiques du Costa Rica, d’El Salvador, du Guatemala, du Honduras, du Nicaragua et du Panama [3],
– vu les documents de stratégie régionale de l’Union européenne relatifs aux périodes 2001 2006 et 2007-2013 pour les pays d’Amérique centrale et le Mexique,
– vu le troisième des objectifs du Millénaire pour le développement, relatif à l’égalité des sexes et à l’autonomisation des femmes,
– vu l’article 45 de son règlement,
– vu le rapport de la commission des droits de la femme et de l’égalité des genres (A6 0000/2007),
Considérants
A. considérant que le terme de "féminicide" se base sur la définition juridique de la violence contre les femmes établie à l’article 1er de la Convention de Belém do Pará - "[a]ux effets de la présente convention, on entend par violence contre la femme tout acte ou comportement fondé sur la condition féminine qui cause la mort, des torts ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychiques à la femme, aussi bien dans sa vie publique que dans sa vie privée" - et que sa sanction et son élimination représentent une obligation et doivent constituer une priorité pour tout État de droit.
B. considérant que la violence contre les femmes revêt une dimension mondiale et non pas uniquement régionale et qu’elle concerne également les États européens ; que le présent rapport s’inscrit dans une stratégie globale tendant à la réalisation conjointe, par l’Union européenne et les pays concernés, d’actions et d’efforts en vue de l’élimination et de la prévention des morts violentes de femmes, quel que soit le lieu où elles surviennent,
C. considérant que la plupart des assassinats de femmes à Ciudad Juárez et au Guatemala se sont caractérisés par leur exceptionnelle brutalité et que de nombreuses victimes ont fait l’objet de violences sexuelles et de peines ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants allant parfois jusqu’à la torture ; qu’une part importante de ces assassinats a eu lieu dans les zones où sont installées les maquiladoras (usines de sous-traitance), lesquelles ne sont pas dotées des mesures de sécurité nécessaires à la protection des femmes,
D. considérant que les féminicides ne peuvent s’expliquer exclusivement par un "climat de violence généralisée", mais qu’il convient également de tenir compte de la discrimination et du contexte socio-économique local, défavorable aux femmes - et encore plus aux femmes indigènes -, ainsi que des niveaux élevés de pauvreté, de la dépendance économique des femmes, des gangs en ce qui concerne le Mexique, et du non démantèlement des corps illégaux et des appareils clandestins de sécurité [4] en ce qui concerne l’Amérique centrale,
E. considérant l’impunité en la matière, c’est-à-dire l’irresponsabilité - de fait ou de droit - sur les plans pénal, administratif, disciplinaire ou civil, des individus responsables de ces actes, le non-aboutissement des enquêtes ou des condamnations, le manque de ressources budgétaires ou les difficultés fréquemment rencontrées par les victimes ou leur famille pour accéder à la justice,
F. considérant qu’un État de droit se doit de promouvoir les politiques qui garantissent aux femmes en général - et aux moins favorisées d’entre elles en particulier - une protection adéquate contre les discriminations, la violence et, enfin, les féminicides, et qu’il convient de sensibiliser en premier lieu les agents de l’État à la gravité de ce problème,
G. considérant que la lutte contre les féminicides et l’impunité doit considérer le système judiciaire dans son ensemble, et s’intéresser tant aux mesures de prévention, à la révision des lois discriminatoires, au dépôt facilité des plaintes, aux possibilités d’enquêtes et de poursuites judiciaires qu’au système pénitentiaire, ainsi qu’à la lutte contre la criminalité organisée et au rétablissement et au renforcement des institutions, et doit bénéficier de ressources financières et humaines suffisantes,
H. considérant qu’il est inacceptable que certains agents de l’État aient recours à la torture afin d’obtenir des aveux de la part de coupables présumés de féminicides,
I. considérant que deux ressortissantes hollandaises ont été victimes de féminicides : Hester Van Nierop (assassinée en 1998) et Brenda Susana Margaret Searle (assassinée en 2001) [5],
J. considérant que le caractère historique et systématique de la violence au Mexique et en Amérique centrale, ainsi que la structure patriarcale de la société, ont fait des femmes les victimes récurrentes des diverses formes de cette violence,
K. saluant les mesures législatives qui ont été adoptées au Mexique, en particulier la loi générale relative au droit des femmes à vivre sans violence, adoptée en février 2007, ainsi que le travail du cabinet du procureur spécial en charge des délits liés aux actes de violence contre les femmes, créé en 2006,
L. préoccupé par le retard législatif accusé en la matière par les pays d’Amérique centrale,
M. considérant l’Alliance interparlementaire de dialogue et de coopération, qui réunit des membres des parlements espagnol, mexicain et guatémaltèque et vise à promouvoir l’adoption de mesures législatives destinées à éliminer la violence contre les femmes,
N. considérant que le développement et la consolidation de la démocratie et de l’État de droit, ainsi que le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, figurent parmi les objectifs globaux de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et doivent faire partie intégrante de l’action extérieure de l’Union européenne,
O. considérant le caractère juridiquement contraignant de la clause relative aux droits de l’homme et à la démocratie de l’accord de partenariat économique, de coordination politique et de coopération conclu entre la Communauté européenne et le Mexique,
P. considérant que l’Union européenne a la responsabilité, lorsqu’elle signe un accord international avec un pays tiers comprenant une clause relative aux droits de l’homme et à la démocratie, de veiller à ce que le pays tiers en question respecte les normes internationales en matière de droits de l’homme lors de la signature de cet accord [6],
demandes du Parlement Européen
1. demande que soient scrupuleusement respectées les recommandations formulées dans les différents rapports et instruments internationaux relatifs à la protection des droits de l’homme, en particulier ceux, évoqués plus haut, qui visent spécifiquement les droits fondamentaux des femmes ;
2. appelle les gouvernements à soutenir, au moyen de ressources financières et techniques, les politiques de prévention et de protection en matière de violence contre les femmes, à renforcer les capacités des tribunaux, des corps de sécurité et des procureurs généraux afin de faciliter la poursuite et la condamnation des responsables, ainsi que la lutte contre le trafic de drogue et la criminalité organisée ; demande également la promotion d’une meilleure coordination institutionnelle dans ces domaines ;
3. exhorte le Congrès du Guatemala à ratifier l’accord conclu entre le gouvernement du Guatemala et les Nations unies, visant à la création de la commission internationale contre l’impunité au Guatemala (CICIG) [7] ;
4. exhorte les États d’Amérique centrale et le Mexique à prendre toutes les mesures nécessaires afin de combattre efficacement la violence contre les femmes, et demande que ces mesures garantissent le respect intégral des droits fondamentaux de la population ;
5. appelle les États d’Amérique centrale et le Mexique à retirer tous les éléments de discrimination envers les femmes des lois nationales, et invite les autorités de ces pays à promouvoir des initiatives législatives tendant à faire qualifier de délits les violences domestiques et le harcèlement sexuel [8] ;
6. invite instamment les gouvernements d’Amérique centrale et du Mexique à respecter les organisations de la société civile, les familles des victimes et les défenseurs des droits de l’homme et à établir un dialogue avec ces interlocuteurs, ainsi qu’à reconnaître leur rôle essentiel dans la société ;
7. exhorte les États d’Amérique centrale et le Mexique à garantir les droits des travailleuses dans les législations nationales [9] et à exercer un contrôle sur les entreprises transnationales afin qu’elles respectent, dans le cadre de la responsabilité sociale des entreprises (RSE), l’intégrité et les droits de leurs employées ;
8. demande à la Commission de promouvoir, dans le cadre des accords actuellement en vigueur ou en cours de négociation, des mécanismes de mise en œuvre de la clause relative aux droits de l’homme et à la démocratie, dont la formulation juridique doit se fonder sur les obligations et les engagements énoncés dans les pactes et les accords internationaux, une attention particulière étant portée à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et à son protocole facultatif ;
9. demande à la représentation de l’Union européenne et aux ambassades des États membres au Mexique de développer avec le point de contact de l’OCDE au Mexique un programme spécifique à destination des ouvrières des entreprises multinationales afin de garantir à ces femmes la sécurité, des conditions de travail dignes et une absence de discrimination salariale ;
10. demande à l’Union européenne que soit accordée, dans le cadre de la coopération, une attention particulière à la restructuration et au renforcement du système judiciaire du Mexique et de l’Amérique centrale, à commencer par les politiques de prévention (campagnes de sensibilisation), le système judiciaire (police, avocats et juges), la protection des victimes, des témoins et des familles et le système pénitentiaire ;
11. invite l’Union européenne à créer la fonction de "coordinateur" (ou "coordinatrice") au sein de ses représentations au Mexique et en Amérique centrale, laquelle consistera à coordonner les efforts de l’Union européenne, des ambassades des États membres et, en ce qui concerne le Mexique, du point de contact national de l’OCDE, en vue de remédier à l’impunité des auteurs de féminicides, à sensibiliser le personnel de ces entités aux questions d’égalité entre hommes et femmes et, notamment, au problème de la violence contre les femmes, à agir en tant qu’agent de liaison pour les citoyens mexicains et centraméricains, à garantir que la question du féminicide soit présente à tous les niveaux du dialogue politique et à présenter un rapport annuel à la commission des droits de la femme et de l’égalité des genres du Parlement européen ;
12. prie instamment l’Union européenne de veiller à ce que le dialogue politique avec le Mexique et l’Amérique centrale, ainsi que le dialogue avec la société civile, intègre de façon systématique la question de la violence contre les femmes - notamment les féminicides - et de l’accès à la justice pour les familles des victimes et les organisations de soutien ;
13. regrette le caractère imprécis du document de stratégie par pays consacré au Mexique pour la période 2007-2013 en ce qui concerne la question de l’égalité entre hommes et femmes, et demande qu’à l’occasion de la révision à mi-parcours de ces documents et des documents suivants, la coopération dans le domaine de l’égalité entre hommes et femmes soit étendue à la question des féminicides ; réclame de même l’intégration d’un plan d’action visant à combattre les auteurs de féminicides et leur impunité et à faciliter l’accès à la justice pour les familles des victimes ;
14. demande que l’évaluation de l’impact sur le développement durable soit, dès que possible, et dans le cadre des négociations de l’accord d’association avec les pays d’Amérique centrale, complétée par une évaluation de l’impact sur l’égalité entre hommes et femmes, dont les résultats seront pris en compte dans les conclusions des négociations ;
15. invite la Commission à donner des informations sur les progrès réalisés en la matière dans le cadre des négociations de l’accord d’association entre l’Amérique centrale et la Communauté européenne, et ce avant la conclusion des négociations ou, dans tous les cas, avant le sommet Union européenne - Amérique latine et Caraïbes qui se tiendra à Lima en mai 2008 ;
16. exhorte les représentations de l’Union européenne et les ambassades des États membres à organiser une table ronde sur les féminicides et l’impunité, à laquelle participeront les différents réseaux et initiatives parlementaires, des centres de recherche, des associations de défense des droits de l’homme et de l’égalité entre hommes et femmes et des familles de victimes ;
17. demande à la composante européenne de la commission parlementaire mixte Union européenne - Mexique et à la délégation pour les relations avec les pays d’Amérique centrale du Parlement européen d’intégrer de façon systématique le point "Féminicides et impunité" au programme de leurs missions dans la région ;
18. propose l’organisation d’une audition conjointe entre la commission des droits de la femme et de l’égalité des genres, la sous-commission "droits de l’homme" et les délégations compétentes, avant le sommet de Lima, afin de dresser le bilan des mesures adoptées, notamment en ce qui concerne le cas des deux ressortissantes hollandaises assassinées au Mexique ;
19. invite instamment, pour toutes les raisons qui précèdent, le Conseil et les présidences futures de l’Union européenne à adopter des lignes directrices sur les droits des femmes, lesquelles contribueraient de façon essentielle au renforcement du contenu et de la cohérence de la politique de l’Union européenne dans le domaine des droits de l’homme ;
20. charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission et aux États membres, ainsi qu’au Conseil de l’Europe et aux gouvernements du Mexique et des pays d’Amérique centrale.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Une audition sur les féminicides au Mexique et en Amérique centrale ("Ni una muerta más" - pas une morte de plus), organisée par la commission des droits de la femme et de l’égalité des genres et par la sous-commission "droits de l’homme", s’est tenue en avril 2006 au Parlement européen.
Cette audition a réuni des députés européens, des représentants des gouvernements du Mexique et du Guatemala, Mme Yakin Ertük, rapporteur spécial des Nations unies, Mme Ruth-Gaby Vermot-Mangold, rapporteur du Conseil de l’Europe, ainsi que des experts de la société civile organisée.
La rédaction du présent texte est le résultat des travaux réalisés pendant et après l’audition, qui ont ainsi permis de créer une base de données utile pour échanger des communications urgentes et unir les efforts.
Le présent rapport s’inscrit dans une stratégie globale de la commission des droits de la femme et de l’égalité des genres concernant l’éradication, au niveau mondial, de la violence à l’encontre des femmes. Le Mexique et les pays d’Amérique centrale ne sont pas les seuls pays où existe ce phénomène de "féminicide". Le présent rapport a pour but de concrétiser les actions et les efforts conjoints pour l’éradication et la prévention des morts violentes de femmes.
Le terme "féminicide" se base sur la définition juridique de la violence faite à la femme, précisée à l’article 1er de la Convention de Belém do Pará : "on entend par violence contre la femme tout acte ou comportement fondé sur la condition féminine qui cause la mort, des torts ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychiques à la femme, aussi bien dans sa vie publique que dans sa vie privée".
Le phénomène du féminicide a été défini en tant que tel pour la première fois au Mexique comme étant "l’ensemble des crimes de lèse-humanité comprenant les assassinats, les séquestrations et les disparitions de fillettes et de femmes dans un contexte de défaillance institutionnelle. Il s’agit d’une fracture de l’État de droit qui favorise l’impunité. Le féminicide est un crime d’État. [10]" Le phénomène du féminicide est à replacer dans un contexte social influencé par la mentalité patriarcale, dans lequel les femmes supportent la majeure partie du travail domestique et procréatif, ce qui les empêche de devenir socialement autonomes. S’y ajoutent l’insécurité, les inégalités, la pauvreté et le contexte de modernisation de l’économie par le biais des maquiladoras (usines de sous-traitance).
En Amérique centrale et au Mexique, le nombre de morts violentes a considérablement augmenté ces dernières années. Un intérêt croissant du public et une meilleure organisation des parents et amis des victimes ont permis de dénoncer les crimes et de rendre le phénomène de plus en plus visible, même si la lutte n’a pas progressé de façon satisfaisante. Selon les chiffres officiels mexicains, 6 000 fillettes et femmes ont été assassinées dans le pays entre 1999 et 2006 et, pour la seule année 2004, 1 205 petites filles ont été victimes d’assassinat [11] . Au Guatemala, 1 188 femmes ont été assassinées entre 2001 et août 2004. Au Salvador, le nombre d’assassinats qui s’élevait à 2 374 en 2001 est passé à 2 933 en 2004. Au Honduras, 442 femmes, jeunes filles et fillettes ont perdu la vie entre 2002 et 2005. Au Nicaragua, 203 femmes ont été assassinées et victimes d’homicide entre 2003 et 2005 [12].
Les États concernés ont fini par mettre en place des mesures législatives pour faire face au problème, sans toutefois réussir à s’attaquer suffisamment aux causes profondes des féminicides. En conséquence, les mesures préventives sont peu nombreuses, les enquêtes continuent à être insuffisantes et la majorité des auteurs des crimes n’ont pas été jugés.
Les assassinats de deux Européennes, Hester Van Nierop [13] en 1998, à Ciudad Juárez, et Brenda Susana Margaret Searle en 2001, à Chichen Itzá, au Yucatán, sont des cas emblématiques. L’absence d’éclaircissements quant au meurtre de Hester Van Nierop et la lenteur des poursuites pénales à l’encontre des assassins de Brenda Searle mettent en valeur les insuffisances considérables de l’appareil judiciaire [14].
Le contexte général dans lequel se déroulent les féminicides est caractérisé par [15] :
– les inégalités sociales : le Mexique et l’Amérique centrale [16] se caractérisent par de profondes inégalités économiques dans la société et la dépendance financière de la femme par rapport à l’homme ;
– la mentalité patriarcale : la structure sociale mexicaine et centraméricaine est basée sur une mentalité patriarcale où la violence à l’encontre des femmes est extrêmement courante. Non seulement le patriarcat banalise la violence envers les femmes, mais il entraîne une importante segmentation du marché du travail et freine la reconnaissance de la contribution politique des femmes ;
– la modernisation économique à partir des années 1990, avec l’implantation croissante de maquiladoras (usines de montage), dont beaucoup sont à capital européen : la main-d’œuvre de ces entreprises est en grande partie (parfois en majorité) féminine et très jeune. Les plaintes sont nombreuses quant aux conditions de travail déplorables : absence de contrats permanents, conditions dégradantes, irrégularité et insécurité des possibilités de transport vers le lieu de travail et infrastructures publiques déficientes. Le non-respect des droits du travail des ouvrières et, par conséquent, de leurs droits humains renforce l’image culturelle de la femme en tant qu’être inférieur, voire méprisable [17] ;
– un État de droit défaillant : de toute évidence, les États ne parviennent à garantir ni l’efficacité de l’appareil judiciaire, ni l’accès à la justice, ni la sécurité, ni la pleine jouissance des droits humains pour leurs ressortissants ;
– l’impunité : l’impunité est le fruit de la corruption et de l’inefficacité du pouvoir judiciaire, et elle implique la complicité avec les coupables et leur protection (directe et indirecte). Elle contribue à encourager la criminalité et crée un climat d’insécurité collective. Les crimes commis en particulier envers les femmes bénéficient généralement d’une plus grande impunité que les autres crimes, comme l’a fait remarquer le Secrétaire-général des Nations unies dans le contexte de la campagne visant à éradiquer la violence à l’encontre des femmes, lancée à l’occasion de la célébration du 8 mars (Journée internationale de la femme) en 2007 ;
– la violence sociale : on constate une présence accrue de gangs de malfaiteurs au Mexique et l’existence de corps illégaux et d’appareils clandestins de sécurité [18] qui ont vu le jour dans les conflits armés d’Amérique centrale ;
– des structures institutionnelles inefficaces : les pays d’Amérique centrale continuent à subir les séquelles des conflits armés dans la région. Leurs systèmes judiciaires et pénaux sont trop fragiles pour empêcher les violations des droits humains ;
– la stigmatisation des victimes de la part des autorités : de nombreuses plaintes dénoncent l’attitude des fonctionnaires de la police et de la justice qui dénigrent les personnes en raison de leur façon de s’habiller, de leurs activités professionnelles ou de leurs relations personnelles. Le but est de discréditer les victimes, qualifier les affaires de cas isolés et détourner l’attention de ce qui est réellement important : la sécurité, le droit à la vie et la dignité des femmes et des jeunes filles assassinées. En Amérique centrale, on a tendance à imputer les assassinats de femmes aux maras (bandes de jeunes délinquants) ou au contexte de la prostitution afin de minimiser le problème ;
– la violence des assassinats : les assassinats sont caractérisés par la haine et la misogynie. Les femmes sont séquestrées, abusées sexuellement, torturées, assassinées, mutilées et abandonnées dans le désert, au bord des routes, sur les marchés ou dans des terrains vagues ;
– le manque de ressources financières des institutions créées pour lutter contre le féminicide : les institutions créées par les États sont confrontées principalement à un manque de ressources financières et humaines [19] ;
– des déficiences des législations nationales et de la ratification des instruments internationaux : au Mexique et en Amérique centrale, il existe des lois et des plans nationaux visant à la prévention et l’éradication de la violence faite aux femmes, y compris la lutte contre les féminicides, mais la majorité de ces mesures ne sont pas appliquées efficacement pour des raisons diverses, telles que le manque de ressources humaines et financières [20]. Le Nicaragua, par exemple, n’a pas ratifié le protocole facultatif de la CEDEF [21], qui instaure une procédure de signalement des violations des droits humains et qui permet au Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes de lancer une enquête sur des violations graves des droits de la femme.
Votre rapporteur considère que le caractère des relations qui unissent l’Union européenne au Mexique et à l’Amérique centrale, ainsi que l’engagement de toutes les parties concernées de respecter pleinement les droits humains, obligent l’Union européenne à agir et à proposer un soutien total pour que les féminicides ne restent pas impunis, par le recours à tous les instruments dont elle dispose, depuis les programmes préventifs jusqu’à une aide au rétablissement et au renforcement des institutions.
Les accords qui lient les parties représentent une base suffisante pour agir. L’instauration (ou la réinstauration) d’un État de droit, où l’appareil judiciaire serait restructuré pour pouvoir fonctionner à l’abri de la corruption et permettre un accès à tous les citoyens, doit être la priorité de la coopération et du dialogue politique, à l’initiative de l’Union européenne.
De la même façon, cet objectif doit marquer l’orientation du troisième pilier des relations de l’Union européenne, à savoir le chapitre commercial, en particulier lorsque sont impliquées des entreprises à capital européen. La responsabilité sociale des entreprises (RSE), qui est ici engagée, implique la prise en compte d’aspects liés à l’égalité entre hommes et femmes : un salaire digne et équitable pour les employées, leur protection contre les discriminations de type sexiste sur le lieu de travail et, enfin, la question de la sécurité pendant les trajets.
Concrètement, votre rapporteur fait à l’Union européenne les suggestions suivantes :
– disposer d’un personnel spécialisé dans les questions d’égalité entre hommes et femmes, au sein des représentations de l’Union européenne dans les pays concernés ;
– prévoir des compétences concrètes, comme un poste de coordinateur sur les questions d’égalité entre hommes et femmes et le féminicide ; produire des rapports, à transmettre à la Commission, au Conseil et au Parlement européen, sur les progrès et les difficultés dans ce domaine ;
– faire de la question des féminicides et de l’impunité un point obligatoire des ordres du jour des enceintes des différents niveaux du dialogue politique, tels que le comité mixte et le comité conjoint ;
– créer une table ronde permanente sur les féminicides et, dans le cas du Mexique, en coopération au niveau de l’OCDE, en particulier au sein du point de contact national de l’OCDE qui est chargé de veiller au respect des principes directeurs à l’intention des entreprises multinationales ;
– inclure le thème de la lutte contre le féminicide et l’impunité dans les documents de stratégie par pays 2007-2013, au plus tard au moment de leur révision à mi-parcours ;
– réserver une place privilégiée à cette question dans la négociation d’un accord d’association avec l’Amérique centrale ;
– de la même façon, l’inscrire à l’"agenda incorporé" (inbuilt agenda) de l’accord de partenariat avec le Mexique, en particulier dans l’accord bilatéral sur les investissements.
En ce qui concerne la question des féminicides et de l’impunité au Mexique et en Amérique centrale, le rôle du Parlement européen est surtout de surveiller la Commission et les États membres dans leurs efforts pour éradiquer le problème dans la région. Il est donc important que le Parlement européen se réunisse sur le thème des féminicides avant le prochain sommet Union européenne - Amérique latine, qui se tiendra à Lima en mai 2008, avec l’appui de toutes les institutions et personnes susmentionnées, afin de faire un bilan et d’adapter la stratégie future aux résultats obtenus.
[1] JO L 276 du 28.10.2000, p. 44.
[2] JO C 103 E du 29.4.2004, p. 542.
[3] JO L 63 du 12.3.1999, p. 39.
[4] Terminologie utilisée par les Nations unies (voir l’accord entre l’Organisation des Nations unies et le Guatemala de novembre 2006 relatif à la création d’une commission internationale contre l’impunité au Guatemala).
[5] Dans le cas de Brenda Searle, le procès des responsables a duré cinq ans et s’est achevé en 2007
[6] Voir le paragraphe 3 de la résolution du Parlement européen du 14 février 2006 sur la clause relative aux droits de l’homme et à la démocratie dans les accords de l’Union européenne.
[7] Voir la résolution du Parlement européen du 15 mars 2007 sur le Guatemala.
[8] En ce qui concerne le Mexique, ces initiatives doivent viser l’ensemble des États du pays
[9] Idem, en ce qui concerne le Mexique, ces initiatives doivent viser l’ensemble des États du pays.
[10] Violence féminicide dans la République mexicaine. Chambre des députés du Congrès de l’Union. 59e législature. Commission spéciale pour instruire et poursuivre les cas de féminicides dans la République mexicaine. Mexico, 2006.
[11] Rapport de la commission spéciale sur les féminicides de la 59e législature de la Chambre des députés.
[12] Données de la police nationale, voir le rapport CLADEM 2007.
[13] Le crime est toujours impuni.
[14] Les assassins de Brenda Searle n’ont été condamnés qu’en 2007.
[15] N’oublions pas les caractéristiques locales très spécifiques ; ainsi, Ciudad Juárez est une ville frontalière avec les États-Unis, point de passage de la drogue, ayant connu un développement rapide et ne disposant pas de services adaptés
[16] Par exemple, au Honduras, troisième pays le plus pauvre d’Amérique latine, 80 % de la population vit dans la pauvreté ; au Nicaragua, 50 % des habitants se situent sous le seuil de pauvreté.
[17] Le féminicide dans le secteur des maquiladoras, Francesca Gargallo, FIDH.
[18] Terminologie utilisée par les Nations unies. Voir l’"Accord entre l’Organisation des Nations unies et le gouvernement du Guatemala relatif à la création d’une commission internationale contre l’impunité au Guatemala" (Comisión Internacional Contra la Impunidad en Guatemala - CICIG), novembre 2006.
[19] Tel est le cas du Plan Nacional de Prevención y Erradicación de la Violencia Intrafamiliar contre la Mujeres (Plan national de prévention et d’éradication des violences intrafamiliales contre les femmes - PLANOVI) au Guatemala.
[20] Voir les annexes fournies par les parlements nationaux.
[21] Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF).
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