« Les mouvements féminins en Iran sont porteurs de changements pour l’ensemble de la société »
lundi 8 octobre 2007 par Marie Ladier Fouladi
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- Qui sont les féministes de la campagne « Un million de signatures » ?, p1
- Doit-on donc les considérer comme une « génération spontanée » ?, p1
- Vous parlez d’un mouvement social important. Comment procèdent les féministes de la campagne « Un million de signatures » ?, p1
- Quelle est la réaction du pouvoir iranien ?, p1
- Post scriptum : A propos du projet de loi « Protection de la famille », p1
Qui sont les féministes de la campagne « Un million de signatures » ?
Avec la campagne « Un Million de Signatures », apparaît sur la scène iranienne une nouvelle génération de militantes sans rapport avec les expressions féministes des débuts de la Révolution.
Au lendemain de la Révolution en effet, les féministes identifiées étaient des avocates, juristes, intellectuelles formées du temps du Shah, et qui se rebellaient sous le coup des lois promulguées par le nouveau régime. Leurs actions restaient isolées et ponctuelles.
Aujourd’hui, la majorité des féministes présentes dans la campagne « Un Million de Signatures » ont 30 à 40 ans maximum. Elles sont journalistes, écrivains, éditrices, artistes, juristes ou étudiantes ; un grand nombre d’entre elles a été élevée sous la République islamique. C’est dans le cadre de leur vie sous la République islamique qu’elles ont pris conscience des inégalités touchant les femmes. Et elles ont transformé leur protestation en mouvement social.
Les militantes de la campagne proviennent de couches sociales très diverses et reflètent un spectre d’opinions assez variées. Parmi les premières femmes militantes de la campagne qui ont été arrêtées, certaines portaient le tchador de haut en bas. Mais elles avaient un discours aussi radical que les autres : il s’agit bien d’une nouvelle génération. A mon avis, elles sont là pour longtemps et sont assez habiles pour ne pas se laisser piéger par l’Etat.
Doit-on donc les considérer comme une « génération spontanée » ?
On peut considérer comme pionnières des courants féministes deux générations de femmes : celles que l’on appelle les « féministes islamistes », et celles formées sous le régime monarchique qui s’inspiraient des droits de l’homme et du concept de l’égalité entre les sexes. Parmi les premières, certaines étaient éditrices des magazines et qui ont commencé à publier dans les années 1990, des articles notamment ceux rédigés par les secondes proposant une lecture nouvelle de la charia, protestant contre les injustices rencontrées et revendiquant un nouvel équilibre homme-femme. Dans ces articles, ces femmes évoquaient les questions de garde d’enfant, de mariage, de divorce. Leur but était d’avertir les femmes sur leurs droits. Mais ce faisant, elles pointaient aussi les contradictions d’un régime islamiste qui se définit comme égalitaire mais impose des barrières aux femmes. Elles prenaient ainsi la plume avec l’ambition de pousser à un adoucissement des lois, invoquant un islam de tolérance et d’humanité pour justifier leur démarche. Parmi les secondes, certaines sont devenues très célèbres, comme Shirin Ebadi, prix Nobel de la Paix 2003, ou une autre juriste encore, Mehrangiz Kar : aujourd’hui exilées aux Etats-Unis, elles se sont mobilisées par exemple sur la question de la violence conjugale envers les femmes…
Ces femmes ont profité de la période d’ouverture du régime durant les années 90. Et elles savaient comment argumenter et tourner leurs articles de manière à échapper à la censure. Même si certaines, comme Shirine Ebadi ou Mehrangiz Kar, ont cependant fait de la prison.
Vers la fin des années 90, grâce à leur influence, des modifications législatives sont ainsi apparues. Par exemple, à propos de la dot (la somme d’argent, négociée au moment du mariage) que le mari doit à sa femme une fois le mariage consommé, une somme qui n’est généralement pas réclamée par cette dernière sauf en cas de divorce (le risque de devoir payer cette somme à son épouse au moment de divorce constitue un gage pour les femmes contre les divorces injustifiés et souvent initiés par les hommes…). Or avec la crise économique traversée par l’Iran et l’inflation qui en a découlé, ces sommes d’argent ne représentaient plus rien dans les cas de mariages anciens. Le Parlement a alors voté une loi réévaluant leur montant, ce qui a influé sur le nombre de divorces initiés par les époux. Un autre exemple d’acquis législatif concerne la garde d’enfant, à laquelle les femmes n’avaient pas droit dans le cadre des lois islamiques. Grâce à Shirin Ebadi et d’autres activistes des droits des femmes, un amendement a été promulgué afin que la garde d’enfant ne soit automatiquement pas confiée aux pères… D’autres modifications législatives encore ont eu lieu. Ce mouvement est cependant resté restreint et ponctuel.
Vous parlez d’un mouvement social important. Comment procèdent les féministes de la campagne « Un million de signatures » ?
En 2006, les féministes qui ont décidé de cette campagne avaient en tête de modifier une série de lois discriminatoires contre les femmes. Mais ces jeunes féministes ne se sont pas contentées de collecter des signatures : à mon sens elles ont prétexté celles-ci pour discuter avec les femmes rencontrées, - et pas seulement les femmes des classes moyennes !, - des questions relatives à la législation discriminatoire en vigueur. Ces militantes font du porte-à-porte, surtout elles vont vers les femmes des couches populaires qui, en situation de maltraitance dans leur couple, ne connaissent pas leurs droits, contrairement aux femmes des classes moyennes éduquées. Ces militantes sont en train de donner naissance à un mouvement social très profond.
Ces militantes sont décidées. Elles savent parfaitement ce qu’elles sont en train de faire. De jeunes hommes se joignent aussi à elles. Et elles organisent parallèlement, à Téhéran et dans plusieurs villes de province, des ateliers militants de sensibilisation aux droits et de formation à l’implication dans la campagne. Elles qui ont grandi sous le régime de la république islamique, surtout, savent jusqu’où ne pas aller trop loin, campant sur des revendications strictement féministes et mettant l’accent sur la signature par l’Iran de la Charte internationale des droits de l’homme, pour demander la révision de ces lois discriminatoires qui sont visiblement en contradiction avec les engagements internationaux de l’Etat iranien. Elles ont su, parallèlement, pour lancer leur campagne, se garantir au préalable de l’appui officiel de deux ayatollahs connus et respectés dont elles ont sollicité et obtenu l’approbation. Elles savent se montrer prudentes.
Ces femmes participent aujourd’hui pleinement au débat politique en Iran. Elles ont notamment condamné publiquement des arrestations d’étudiants ou encore de syndicalistes ouvriers. Elles s’inscrivent ainsi dans un mouvement plus vaste dont elles constituent de fait le noyau. Certes, la campagne, quoique d’ampleur, reste discrète, et l’on en trouve peu d’échos dans les journaux iraniens. Mais le fait qu’une figure internationalement célèbre comme Shirin Ebadi soutienne la campagne rassure les militantes, auxquelles cela assure une visibilité et, certainement, une solidarité internationales.
Quelle est la réaction du pouvoir iranien ?
Sur leur site en farsi (il en existe une version anglaise, moins achalandée), régulièrement interrompu, on peut lire des interviews d’intellectuels iraniens qui identifient ce mouvement comme le véritable moteur d’un mouvement social plus ample en Iran. C’est bien pourquoi le gouvernement lui est très hostile… En avril dernier, plusieurs militantes parmi les initiatrices de la campagne ont ainsi été accusées d’atteinte à la sûreté de l’Etat : elles ont été arrêtées dans un parc en train de collecter des signatures… L’Etat a vraiment peur de cette campagne.
Aujourd’hui, ces femmes sont très sollicitées dans la perspective des élections législatives qui doivent se tenir en février-mars 2008 en Iran. Certaines se laisseront sans doute tenter. La période est à la création d’alliances, de fronts, paysage mouvant mais où elles devraient s’installer durablement.
Post scriptum : A propos du projet de loi « Protection de la famille »
Il semble que la fraction des femmes parlementaires ait été à l’origine de ce projet de loi. Cependant c’est le pouvoir judiciaire qui a préparé le texte et en août dernier l’a proposé au parlement comme le projet de loi du gouvernement. Il comprend 52 articles qui traitent des questions relatives aux mariages permanent et temporaire, au divorce et à la garde d’enfants. C’est l’article 23 de ce projet de loi qui est le plus contesté bien évidemment par les militantes de la campagne « Un million de signatures » aussi bien que par d’autres défenseurs des droits des femmes, des intellectuels et certains parlementaires, responsables et personnalités politiques. L’article incriminé reconnaît à nouveau le droit des hommes à la polygamie et pire encore simplifie la procédure. De sorte que l’homme souhaitant contracter un second mariage n’aura plus besoin d’obtenir le consentement de sa première épouse, le tribunal après avoir vérifié les moyens financiers de l’homme pour pouvoir entretenir deux familles l’y autorisera. En raison des protestations successives, l’examen de ce projet de loi n’est pour l’instant pas à l’ordre jour du parlement.
Propos recueillis par KG pour ResistingWomen.Net
Voir par ailleurs l’article essentiel "Les femmes iraniennes entre règle de droit et la pratique" de Marie Ladier-Fouladi publié en espagnol par VanGuardia à l’été 2007 et reproduit dans sa version française sur le site iranien de la Campagne Un Million de Signatures...
Marie Ladier Fouladi
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